209r

[209ra] riviere. Adonc di je au chevalier :

« Sire, vez ci un fort passage et une forte entree de paÿs.

– C’est voir, respondi le chevalier, et combien que l’entree soit forte, toutevoie le conte de Fois la conquist une foiz, et passerent, li et ses gens, tous par ci, et vindrent a Palamininch et a Montesquien, et jusques a la cité de Paumiers. Si estoit le pas­sage assez bien gardez, mais archiers d’Angle­terre qu’il avoit en sa compaignie lui aid­ierent grandement son fait a faire, et le grant desir aussi qu’il y avoit de passer tout oultre pour venir en la marche de Paumiers. Or chevauchiez delez moy et je vous diray quele chose il y fist adonc. »

Lorsa chevauchay je delez messire Espaeng de Lion, et il me commença a faire son compteb:

« Le conte d’Armignac1 et le sire de Labreth, ce dist li chevaliers, atout bien cinq cens hommes d’armes, s’en vindrent en la conté de Fois et en la marche de Paumiers, et fu droitement a l’entree d’aoust que on doit requeillir les biens aux champs et que les roisins meurissentc; et par celle saison il en y avoit grant habondance ou paÿs dessusdit. Messire Jehan d’Armignac2 et ses gens se lo­gierent adonc devant la ville et le chastel de Savre­dun, a une petite lieue de la cité de Paumiers, et la livrerent ilz assault, et manderent a ceulx de Paumiers que, se ilz ne se rachetoientd leurs blefs et leurs vignese, ilz ardroient et destrui­roient tous. Ceulx de Paumiers se doubterent, car le conte leur sire leur estoit trop longf – il estoit en Berne – et eurent conseil d’eulx racheter, et se racheterent a .vjm. fransg; mais ilz prindrent .xv. jours de terme, lesquelz on leur donna3.

« Le conte de Foiz fu enfourmez de tout cest affaireh, si se hasta au plus qu’il pot et manda gens de tous costez. Tantost il en ot assezi, et s’en vint [209rb] a pointe d’esperon devers Pau­miers et passa au pas de la Garde4 a celle porte coulice de fer, et le conquist, et s’en vint bouter en la cité de Paumiers. Et gens li venoient de tous lez, et avoit adonc largement .xijc. lancesj. Et feust venu sans faulte combatre messire Jehan d’Armi­gnac et ses gens, se ilz eussent attendu, mais ilz se partirent et se retrairent, et rentrerent en la conté de Comminges, et point n’emporterent l’argent de ceulx de Paumiers, car ilz n’orent pas loisir de l’atendre. Mais pour ce ne le quitta pas le conte de Fois a ses gens, mais dist que il l’aroit et qu’il l’avoit gaignié, quant il estoit venu tenir sa journee, et bouter hors du paÿs ses ennemis. Si l’eust, et en paia ses gens d’armes. Et la se tint tant que les bonnes gens eurent recueilli et ven­dengié, et le leur mis asseurk.

– Par ma foy ! di je au chevalier, je vous oz volentiers. »

En ce momentl nous passasmes delezm un chastel qui s’appelle La Bretice5, et puis un autre chastel que on dist Bacellesn 6, et tout en la conté de Commingeso.

En chevauchant je regarday et vy par dela la riviere un tresbel chastel et grant, et bonne ville par apparance. Je demanday au chevalier com­ment ce chastel estoit nommé. Il me dist qu’on l’appelloit Montesplainp 7,

« et est a un cousin du conte de Fois qui porte les vaches par armoierieq, que on dist messire Rogier d’Espaigne8. C’est un grant baron et grant terrienr, en ce païs ci et en Thoulousain, et est pour le present seneschal de Carcassonne. »

Lors demanday je a messire (je a messire Jehan) Espaengs de Lion :

« Et cil messire Rogier d’Espaigne, quele chose estoit il a messire Charles d’Espaigne9 qui fu connestable de France ? »

Dont me respondi le chevalier et me dist :

« Ce n’est point de ces Espaignolz la, car cil messire Loÿs d’Espaigne10 et messire Charles de qui vous parlez vindrent du royaume d’Espaigne

 

  1. Le comte Jean II. Les événements décrits ici eurent lieu en 1376.
  2. Le futur Jean III, comte d’Armagnac.
  3. Les pillards accordèrent un délai de quinze jours aux habitants de Pamiers pour que ceux-ci trouvent l’argent dû.
  4. Pas de la Garde : défilé étroit sur la Garonne près de Montpezat, ou peut-être de Mancioux ?
  5. Château fort dans la vallée de la Garonne près de Martres-Tolosane ?
  6. Château fort se situant près de La Brétice ?
  7. Montespan, cant. Salies-du-Salat (Haute-Garonne).
  8. Roger d’Espagne, cousin de Gaston Fébus, sénéchal de Carcassonne de 1383 à 1390. Les vicomtes de Béarn por­taient « d’or, à deux vaches de gueules, l’une au-dessus de l’autre, onglées, accornées et colletées d’azur, clarinées du champ » ; comte de Foix et vicomte de Béarn, Gaston Fébus utilisa un blason écartelé de Foix (1 et 4 : « d’or à trois pals de gueules ») et de Béarn (2 et 3). Je dois ces précisions à Th. Borel: http://www.foixstory.com/data/blason/autre/bearn.htm et lui en suis reconnaissant. On y trouve d’autres renseignements encore concernant les dynasties des Foix-Béarn et Foix-Grailly.
  9. Charles (de la Cerda) d’Espagne, comte d’Angoulême ; connétable de France en 1351, assassiné en 1354.
  10. Louis (de la Cerda) d’Espagne, frère de Charles, amiral de France en 1341. † à la bataille de Crécy, 1346.