[210va] firent des appertises d’armes assez, et tous deux y furent navrez.
« A l’endemain on se deslogea, et vint le duc, avecques les gens d’armes que il avoit tenus devant Derval, a Thoulouse, et de la en ce païs, et tout a l’entencion de destruire Lourdea, car cilz de Thoulouse s’en p[l]aignoient trop grandementb.
« Si comme je vous racompte il advint, et fu tout premierement le siege mis du duc d’Anjou et de ses gens devant le chastel de Mauvoisin que nous veons ycy devant nous. Et avoit le duc en sa compaignie bien .viij. mille combatans sans les Genevois1 et les communes des bonnes villes des seneschaucies de ce païs. Du chastel de Mauvoisinc estoit capitaine pour lors un escuier gascon qui s’appelloit Raimonnet de l’Espee, appert homme d’armes durementd. Tous les jours y avoite aux barrieres du chastel escarmouches et fait d’armes, et appertises grandes, et beaux lanceis de lances et pousseis, faictes courses et envahies des compaignons sëurs qui se desiroient a avancier ; et estoient le duc et ses gens logiez en ces beaux prez entre Tournay et le chastel et sur la belle riviere de Lesse.
« Le siege estantf devant le chastel de Mauvoisin, messire Garsien du Chastel, qui estoit mareschal de l’ost, s’en vint atout cinq cens combatans et deux cens archiers et arbalestriers, et bien deux mille autres hommes de communes, mettre le siege devant le chastel de Trigalet que nous avons ci laissié derriere nous, le quel chastel un escuier gascon gardoit pour le seigneur de la Barde2, car il estoit son cousin et s’appelloit le Bascot de Mauliong 3. Et avoit environ .xl. compaignons dedens qui estoient tous maistres et seigneurs de Lane de Bouqh, ne nul ne pouoit passer ne chevauchier ce païs se il n’estoit pelerin alant a Saint Jaques4, com fort qu’il feust, qu’il ne feust prins, mort [210vb] ou raençonnez, avecques un autre petit fort qui gist la oultre vers Lamesen, duquel pillars et robeurs de tous païs assemblez avoient fait une garnison, le quel fort on nomme le Nemillensi 5, et est un chastel qui tousjours a esté en debat entre le conte de Fois et le conte d’Armignac, et pour ce n’en faisoient conte li seigneur quant le duc d’Anjouj vint en ce païs.
« Quant messire Garsis du Chastel fu venus devant le fort de Trigalet, il le fist environner d’une part, car au lez devers la riviere on ne le peut approchier ; et la eust grant assault, dur et fort, et maint homme blecié, dedens et dehors, du trait. Et y fu messire Garsiens cinq jours, et tous les jours y avoit assaulz et escarmouches, et que cilz de dedens l’artillerie que ilz avoient, alouerent si nettement que ilz n’avoient mais riens que traire, et bien s’en apperceurent les François. Adonc par droite gentillecce fist messire Garsien venir parler a lui sur bon saufconduit le capitaine. Et quant il le vit, il lui dist :
« “Bascos, je sçay bien en quel parti vous estes. Vous n’avez point d’artillerie ne chose pour vous defendre a l’assault, fors que de lances. Sachiez que, se vous estes prins a force, je ne vous pourray sauver, ne voz compaignons, que vous ne soiés mors des communes de ce païs, la quele chose je ne verroiek pas volentiers, car encores estes vous mon cousin. Si vous conseille que vous rendez le fort, endementres coml vous en prie. Vous n’en pouez jamais avoir blasme du laissier6; et alez d’autre part querre vostre mieux. Vous avez assez tenu ceste frontierem.
« – Monseigneur, respondi l’escuier, je oseroie bien ailleurs que ci, hors de parti d’armes, faire ce que vous me conseilleriésn, car voirement sui je vostre
- Les Génois, autrement dit « les arbalétriers ».
- Jean, vicomte et seigneur de la Barthe de Neste (Hautes-Pyrénées).
- Le Bascot de Mauléon, homme d’armes qui doit beaucoup de sa réputation aux écrits de Froissart. Il a pourtant réellement existé : Guilhem Pépin, « Towards a Rehabilitation of Froissart’s Credibility : The Non Fictitious Bascot de Mauléon », dans The Soldier Experience in the Fourteenth Century, éd. Adrian R. Bell, Anne Curry, Adam Chapman, Andy King et David Simpkin, Woodbridge et Rochester NY, The Boydell Press, 2011, 175-90.
- Saint-Jacques de Compostelle, grand lieu de pèlerinage en Galice (Espagne).
- Lutilhous, à l’ouest de Lannemezan, cant. Lannemezan (Hautes-Pyrénées).
- Les défenseurs ne pourront pas être accusés de s’être rendus sans avoir résisté ; leur honneur sera donc sauf.