211v

[211va] s’appelloit Fortefiéa de Saint Paul1. Et puis s’en retourna au siege de Mauvoisin ou le duc d’Anjou seoit ; et ja estoit revenus messires Garsiens du Chastel et toutes ses gens, et avoit recordé au duc sa chevauchie et comment il avoit exploitiéb.

« Environ .vj. sepmaines se tint le siege devant le chastel de Mauvoisin, et pres que tous les jours aux barrieres y avoit faiz d’armes et es­carmouches de ceulx de dedens a ceulx de hors. Et vous di que ceulx de Mauvoisin se feussent assez tenu, car le chastel n’est pas prenable se ce n’est par leurc siege ; mais il leur advint que on leur tolly l’eaue d’un puis qui siet au dehors du chastel, et les citernes que ilz avoient la dedens sechierent, car onques goutes d’eaue du ciel durant .vj. sepmaines n’y cheÿ, tant fist chault et sec. Et ceulx de l’ost avoient bien leur aise de la belle riviere de Lesed qui leur couroit clere et roide, dont ilz estoient servis, eulz et leurs che­vaulx.

« Quant li compaignon de la garnison de Mauvoisin se trouverente en ce parti, si se com­men­cierent a esbahir, car ilz ne pouoient longue­ment durer. Des vins avoient ilz assez, mais la doulce eaue leur failloit. Si eurent conseil que ilz traite­roient devers le duc, ainsi qu’ilz firent. Et empetra Raymon­net de l’Espee, leur capitaine, un saufcon­duit pour venir en l’ost parler au duc. Il l’ot assez legierement et vint parler au duc, et dist :

« “Monseigneur, se vous nous voulez faire bonne compaignie a mes compaignons et a moy, je vous rendray le chastel de Mauvoisin.

« – Quel compaignie, respondi le duc, voulez vous que je vous face ? Partez vous ent et alez vostre cheminf, chascun en son païs, sans vous bouter en fort qui nous soit contraire ; car se vous vous y boutez et je vous tiengne, je vous delivreray a Jausseling, qui vous fera voz barbes sans ra­souer2.

« – Monseigneur, dist Ray– [211vb] –monnet, se il est ainsi que nous nous partions et retraions en noz lieux, il nous en fault porter ce qui est nostre, car nous l’avons gaignié par armes, en paine et en grant aventure.”

« Le duc pensa un petit et puis respondi et dist :

« “Je vueil bien que vous emportez ce que porterh en pourrés devant vous, en males et en sommiers, et non autrement. Et se vous tenez nul prisonnier, ilz nous seront rendu.

« – Je le vueil”, dist Raymonnet.

« Ainsi se porta leur traictié que recorder vous m’oiez3; et se departirent tous ceulx qui dedens estoient, et rendirent le chastel au duc d’Anjou et emporterent ce que devant eulx porter en peurent. Et s’en rala chascun en son lieu ou autre part querre son mieulx, mais Raymonnet de l’Espee se tourna François et servi le duc d’Anjou depuis moult longtemps, et passa oultre en Ytalie avec lui et mouruti a une escarmouche devant la cité de Napples4, quant le duc d’Anjou et le conte de Savoie5 y firent leur voiage6 j.

 

§ 9.

Pour quel cause le conte de Foix assembloit grant tresor, et comment les compaignons du païs de Bigorre se combatirent a la garnison de Lourde7.

« Ainsi que je vous comptek, beaux maistres8, eustl en ce temps le duc d’Anjou le chastel de Mauvoisin, dont il eust grant joie ; et le fist garder par .j. chevalier de Bigorre qui s’appelloit messire Ciquart de Luperrierem 9. Et depuis le donna il au conte de Fois, le quel le tient encores et tenra tant comme il vivra ; et le fait bien garder par .j. cheva­lier de Bigorre, le quel est de son lignage, et le appellonsn messire Raymon de Lane. Et quant le duc d’Anjou ot la saisine de Mauvoisin et delivré ce paÿs et toute Lane de Bouqo des Anglois et

 

  1. Peut-être Fortaner de Sent-Pau, enrôlé parmi les nobles à Nébouzan en 1376 (SHF XII, p. xviii, n. 3).
  2. Expression semi-figée qu’on retrouve ailleurs dans les Chroniques.
  3. À noter comment le chroniqueur nous rappelle l’instance d’énonciation principale : Espan de Lion.
  4. Le royaume de Naples, ancien royaume d’Italie.
  5. Amédée VI, comte de Savoie, mari de Bonne de Bourbon, sœur de la reine de France, accompagna le duc d’Anjou en Italie. Il fut l’un des protecteurs de Froissart. † 1383.
  6. Le pape avignonnais, Clément VII, avait promis à Louis, duc d’Anjou, un royaume au centre de l’Italie ainsi que la succession au trône de Naples dès que la reine, Jeanne, viendrait à mourir. La lutte pour la succession commença lorsque Jeanne fut assassinée en 1382. Une expédition montée par le duc d’Anjou et le comte de Savoie échoua, et les deux princes y moururent.
  7. Cherchant à recouvrer la Bigorre, cédée à l’Angleterre par le traité de Brétigny (1360), auquel on avait récemment ren­oncé (1369), pourtant, le duc d’Anjou envahit le territoire, dont il récupéra la plus grande partie. L’expédition pour reprendre Mauvezin et Lourdes eut lieu en 1373.
  8. Nouveau rappel que c’est Espan qui reprend ici le récit.
  9. Chiquart de la Perrière, chevalier de Bigorre, capitaine de Mauvezin.