213r

[213ra] Or che­vauchiez delez moy et je le vous compteray. »

Adonc m’avançay je et me mis delez lui pour oïr sa parole, et il commença a parler et dista:

« Du temps que Pierre d’Auchin tenoit le chastel et la garnison d’Ortingas, si commeb je vous ay compté paravant, chevauchoient ceulz de Lourde aucune fois a l’aventure moult ensus de leur forteresce ; et vous di que ilz ne l’avoient pas d’avantaige, car vez ci le chastel de Barbesen, le chastelc du Marteras1, ou tousdiz a eu gens d’armes en garnison, sans ceulx de Bagnieres, de Tournay, de Montguillartd, de Salenges2, de Benache 3, de Gorre4 et de Tharbe, toutes villes et garnisons françois[es]f. Et quant ces garnisons sentoient que cil de Lourde chevau­choient vers Thoulouse ou vers Carcassonneg, ilz5 se re­cueilloienth et mettoient en embusche sur eulx pour eulx ruer jus et tollir les pillages que ilz rem­menoient. Une fois en y avoit des rüez jus d’une partie et d’autre, et l’autre fois a l’aventure passoient ceulx de Lourde sans estre rencontrez.

« Or advint une foiz que Ernauton de Sainte Coulombe, le Mongaut de Saint Cornille6 et le bourch de Carvellaci et bien .vjxx. lances de bonnes gens se departirent de Lourde et s’en vindrent autour des montaignes entre ces deux rivieres, Lisse et Lese, jusques a Thoulouse. A leur retour ilz leverentj es praeriesk grant foison de bestail, vaches et buefs, pors, moutons et brebis, et prindrent moult de bons hommes ou plat païs, et tout ramenoient devant eulx. Et fu signifiezl au capitaine de Tharbe, un escuier gascon qui s’ap­pelloit Ernauton Bi[ss]ettem 7, appert homme d’armes durementn, [213rb] comment ceulx de Lourde se contenoient et chevauchoient le païs o. Si le manda au seigneurp de Benac et a Anguerot Laneq 8, filz a messire Raymon, et aussi au seigneur de Barbesen, et dist qu’il vouloit chevau­chier contr’eulx. Cilz chevaliers et cilz escuiers de Bigorre s’i acorderent, et se requeillirentr tout en­sembles et firent leur armeet a Tournay, par ou leur passage estoit communement. Et la fu aussi le bourch d’Espaigne, qui y vint de sa garnison de Saint Beart. Et estoient environ .cc. lances, et envoierentu leurs espies sur le païs pour savoir quel couvine cil de Lourde a leur retour faisoient. D’autre part aussi cil de Lourde avoient leurs espies, pour savoir se nulles gens d’armes se mettroient contre eulx sur les champs, et tant par leurs espies que ilz sceurentv tout le couvinement de l’un et de l’autre. Quant ceulx de Lourde enten­dirent que les garnisons françoises chevauchoient et les attendoient a Tournay, si furent en doubte et se conseillierent sur les champs comment ilz se maintendroient, et comment leur proie a sauveté ilz menroient. Si dirent :

« “Nous nous partirons en deux parsw: l’une partie emmenra devant lui, tout chaçant, la proie, et la seront noz varlés et noz pillars, et prendront le chemin a la couverte de Lane de Bourchx, et venronty passer le chemin au pont a Tournay, et la riviere de Lese entre Tournay et Mauvoisin ; et li autre chevaucheront en bataille par les couppiauxz des montaignes et ferontaa monstre pour revenir au pas du Larre dessoubz Marteras pour rechoir entre Barbesen et Montgaillart ; mais que nous puissons passer sauvement la riviere a toute nostre proie, et que a Montgaillart nous soions tout ensemble, nous n’aurons garde, car nous serons tantost

 

  1. Mascaras, cant. Tournay (Hautes-Pyrénées).
  2. Salles, cant. Argelès-Gazost (Hautes-Pyrénées).
  3. Bénac, cant. Ossun (Hautes-Pyrénées).
  4. Gourgue, cant. Capvern-les-Bains (Hautes-Pyrénées).
  5. C’est-à-dire les hommes composant les garnisons.
  6. Le Mongat de Saint-Cornille.
  7. Arnaut de Bissette, écuyer gascon, capitaine de Tarbes.
  8. Anguerot de Lanne, fils de Raymond de Lanne.