213v

[213va] a Lourde.”

« Ainsi comme ilz l’ordonnerent ilz le firent, et prindrent le Bastart de Carnillac1 et Guillonnet de Harnes2, et Perrot Boursier3 et Jehan Calemin4 de Bassellea, et Le Rouge5, escuier, et .xl. lances, et tous leurs varlés, pillars et autres, et leur(s) distrent :

« “Vous enmenrés nostre proie et noz prison­niers toute Lane de Bourchb, et descendrezc entre Tournay et Mauvoisin, et la passerés au pont la riviere et yrez tout a la couverte entre La Civitat et Montgaillart, et nous ferons l’autre chemin du Marteras et de Barbesen, et tous nous retrouve­rons ensemble a Montgaillartd.”

« Si comme il fu ordonné, il fu fait. Et se de­partirent la sur les champs, et demourerent en route, et en la plus grande Ernauton de Rostem, Ernauton de Sainte Coulombee, le Montgaut de Sainte Cornillef et bien .iiijxx. compaignons, tous hommes d’armes ; il n’y avoit pas .x. varlés. Et restraindirent leurs plates et mirent leurs bacinésg, et prindrent leurs lances et chevauchierent tous serrez, ainsi que pour tantost combatre ; ne autre chose ilz n’attendoient, car ilz sentoient leurs ennemis sur les champs. Tout en autele maniere que cilz de Lourde avoient eu conseil de retourner, eurent aussi advis de eulx trouver et raencontrerh les François, et dirent la messire Monnaut de Barbesen et Ernauton Bisette :

« “Nous savons bien que cilz de Lourde sont sur les champs, et ramainent grant proie et grant foison de prisonniers. Nous serons trop courrou­ciez se ilz nous eschappent. Si nous fault mettre en deux embusches, car nous sommes gens as­sez pour cela faire.”

« Adonc fu ordonné que Ernauton, le bourch d’Espaigne, et messire Raimons de Benac et Angerot Lane, atout cent lances, garderoient le pas a Tournay, [213vb] car il couvenoiti du moins que leur bestail et leursj prisonniers passassent la la riviere de Lisse ; et le sire de Barbesen et Ernauton Bisette, atout autres cent lances, che­vaucheroientk a l’aventure pour savoir se nulz en verroient et trouveroient.

« Ainsi se departirent li uns de l’autre, et s’en vindrent le sire de Benac et le bourch d’Espaigne et se mistrent en embusche au pont entre Mauvoi­sin et Tournay, et li autre prinrent les champs. Droitement sur le pas ou nous chevonsl mainte­nant qu’on dit au Larre, ilz se trouverent. Et tantost comme ilz se virent, tost descendirent de leurs chevaulx, et les laissierent aler paistre, et attinc­terent et appointerent leurs lances, et s’en vindrent les uns sur les autres, car combatre les couvenoit, en escriant leurs cris : Saint George, Lourde ! et Nostre Dame, Bigorre ! La vindrent ilz l’un sur l’autre et commencierent a bouter et a pousser fort et roide, les lances es poingsm, et s’apoioient en poussant de leurs poetrines6, et point ne s’espar­gnoient. Et la furent une espace en ferant et pous­sant de leurs lances, l’un sur l’autre, que ce sem­bloit si comme jeu, comme je oÿ recorder a ceulx qui y furent, un pou oun nulz a ce commencement n’estoit portez par terre.

« Quant ilz eurent assez bouté et poussé de leurs lances, ilz les ruerent jus, et estoient ja tous eschaufez, et prindrent leurs haches et se com­mencierent de haches a combatre et a donner grans et horribles horionso, et chascun avoit le sien. En cel estat et en ce partip d’armes furent ilz plus de trois heures, et se batirent et navrerentq si tresbien que merveilles. Et quant il en y avoit au­cuns qui estoient oultrez, ou si malmenez que ilz ne se pouoient plus sous–

 

  1. Le Bastard de Cardeilhac servit le seigneur de Lanne.
  2. Guillonet de Harnes.
  3. Chef de compagnie.
  4. Probablement Jean Callemin de Bascle (Basque).
  5. Le Rouge, écuyer, dont nous ne savons rien d’autre.
  6. Effet d’allitération un peu lourd mais dont on trouve bien d’autres exemples dans les Chroniques ; Espan de Lion emprunterait donc ici, l’espace de quelques lignes, la griffe stylistique de son auditeur… Froissart.