225r

[225ra] –mes, nous et les nostres, tresgrant finance. Quant les trieuves furent faillies de France et d’Angleterre, le roy de Navarre cessa sa guerre, car on fist paix entre le regent et lui1. Et lors passa le roy d’Angleterre la mer en tresgrant arroy et vint mettre le siege devant Reims2, et la man­da il le captal mon maistre, le quel se tenoit a Clermont3 en Beauvoisis et faisoit guerre pour lui a tout le paÿs. Nous venismes devers le roy et ses enfans. »

Lors me dist l’escuier :

« Je croy bien que vous avez toutes ces choses, et comment le roy d’Angleterre passaa et vint devant Chartres4, et comment la paix fu faicte des deux roys.

– C’est verité, respondi jeb, je l’ay toutec, et les traittiez comment ilz furent faiz. »

Lors reprinst le Bascot de Maulion sa parole, et dist :

« Quant la paix5 fu faicte entre les deux roys, il couvint toutes manieres de gens d’armes et de compaignes parmi le traittié de la paix vuidier et laissier les forteresces et les chasteaulx que ilz tenoient. Adonc s’acueillirent toutes manieres de povres compaignons qui avoient aprins les armes, et se remirent ensemble. Et eurent pluseurs capi­taines conseil entr’eulx quel part ilz se trairoient, et distrent ainsi que se les roys avoient fait paix en­semble, si les couvenoit il vivred. Si s’en vindrent en Bourgoigne, et la avoit capitaines de toutes nacions, Englois, Gascoings, Espaignolz, Navar­rois, Alemans, Escoz6 et gense de tous paÿs assemblez, et je y estoie pour un capitaine. Et nous trouvasmes en Bourgoigne7, et dessus la riviere de Loire8 plus de .xij. mi[l]le, que uns que autres, et vous di que la en celle assemblee avoit bien trois ou quatre [225rb] mille de droite[s] gens d’armes, aussi apers et aussi soubtilz de guerre comme nulles gens pourroient estre pour adviser une bataille et prendre a son avantaige, pour es­cheler et assaillir villes et chasteaulx, aussi duit et aussi nourris que gens pouoient estref, et bien le monstrasmes a la bataille de Brinay9 ou nous ruasmes jus le connestable de Franceg 10 et le conte de Forés et bien .ijm. lancesh de chevaliers et d’escuiers. Ceste bataille fist trop grant proufit aux compaignons, car ilz estoient povre[s] ; si furent la tous riches de bons prisonniers, et de villes et de fors que ilz prindrent en l’arceveschié de Lion11 et sur la riviere du Rosne12. Et ce parfisti leur guerre quant ilz eurent le Pont Saint Esperit13, car ilz guerrierent le pape14 et les cardi­naulx et leur firent moult de travaulx, et n’en pouoient estre quitte, ne n’eussent esté jusques a ce que les compaignons eussent tout honny, mais ilz trouverent un moien : ilz manderent en Lombar­die15 le marquis de Montferrant16, un moult vaillant chevalier lequel avoit guerre au seigneurj de Milan. Quant il fu venus en Avignon, le pape et les cardinaulx traittierent devers lui, et il parla aux capitaines angloiz, gascons et alemansk parmi .lxm. frans que le pape et les cardinaulx paierent a pluseurs capitaines de ces routes, telz que mes­sire Jehan Hasconde17, un moult vaillant chevalier anglois, messire Robert Briquet18, Carsuele19, Naudon de Bagerant20, le bourc de Breteuil21, le bourc Camus, le bourc de Lespare22, Batillierl 23 et pluseurs autresm, [et] s’en alerentn en Lombar­die. Et rendirent le Pont Saint Esperit, et emmenerent de toutes les routes bien les .vj. pars, mais nous demourasmes derriere, messire Se­ghins de Batefol24, messire Jehan

  1. Trêves de deux ans entre la France et l’Angleterre con­clues en mars 1357. Charles de Navarre n’en tint aucun compte et continua de harceler le dauphin Charles, agissant au nom de son père, Jean II le Bon, prisonnier en Angleterre.
  2. Reims, sur le Vesle, chef-lieu d’arrondissement (Marne), fut assiégée sans succès pendant un mois par Édouard III à la fin de 1359 (Livre Ier des Chroniques).
  3. Chef-lieu d’arrondissement (Oise).
  4. La paix fut négociée à Brétigny, hameau non loin de Chartres, chef-lieu de département (Eure-et-Loir).
  5. Les effets de la paix anglo-française sur le personnel militaire sont soulignés par Froissart. Que devaient donc faire tous ceux qui vivaient de la guerre?
  6. Écossais.
  7. La Bourgogne, région de l’est de la France avec une unité historique plus que géographique.
  8. Dans la Haute-Loire, département de la Région Auvergne.
  9. La bataille de Brignais (le 6 avril 1362) ; elle vit la défaite de l’armée royale par une armée de routiers (Sumption, Trial by Fire… , 477-9, 482, 508-509 et 529).
  10. Robert de Fiennes, connétable de France 1356-1370.
  11. Lyon, au confluent du Rhône et de la Saône, chef-lieu de département (Rhône).
  12. Le Rhône, fleuve de Suisse et de France qui se jette dans la mer Méditerranée.
  13. La ville de Pont-Saint-Esprit, chef-lieu de canton (Gard), avait été prise par les routiers fin décembre 1360, et non pas comme le décrit ici Froissart.
  14. Innocent VI, pape, 1352-1362.
  15. C’est-à-dire le nord de l’Italie.
  16. Jean II Paléologue, marquis de Montferrat (marquisat situé entre le Piémont et le Milanais) faisait la guerre au Visconti de Milan. † 1372.
  17. Sir John Hawkwood, Anglais ; parmi les plus connus des capitaines de grandes compagnies ; termina sa longue car­rière militaire en Italie, et mourut en 1394. Son monument, peint par Paolo Uccello longtemps après sa mort, se trouve dans la cathédrale de Florence.
  18. Robert Birkhead, Anglais ; capitaine de compagnie.  † 1368.
  19. John Cresswell, Anglais ; capitaine de compagnie. † à Niort en 1373.
  20. Naudon de Bageran, Gascon ; capitaine des grandes com­pagnies.
  21. Bertrand, Bourc de Breteuil, Gascon ; capitaine de compagnie.
  22. Gascon ; capitaine de compagnie.
  23. Munde Bataillier, capitaine de compagnie, décapité à Paris en 1368.
  24. Séguin de Badefol, Périgourdin ; capitaine de compagnie.