226r

[226ra] un chevalier anglois, le plus grant capitaine que nous eussions, et s’en venoit costoiant la riviere de Loire pour venir a La Charité. Si fu rencontrez par l’embuschea du sei­gneur de Rougemont1 et du seigneur de Vode­nay2 et des gens l’Arceprestreb. Ilz furent plus fors de lui, si le ruerent jus et fu raençonnez a .xxxm. frans. Il les paia tous comptans. De sa prinse et de son dommaige il ot grant annoy et desplaisance, et jura que jamais ne rentreroit en son fort, si les raveroit reconquis. Si reconqueillic grant foison de compaingnons et vint a La Charité sur Loire et pria aux capitaines, a Lamit et a Corsuelled, au bourc de Pierregort et a moy qui y estoie alé esbatre, que nous voulsiss[i]ons chevau­cher avecques lui. Nous lui demandasmes :

« “Quel part ?”

« – Par ma foy, dist il, nous passerons la riviere de Loire au Port Saint Thibaut3 et irons prendre et escheler la ville et le chastel de San­cerre. Je ay voué et juré que jamais ne retourneray en fort que j’aie, si aray veü les enfans de San­cerre. Se nous pouoions avoir la garnison de Sancerre et les enfans de dedans4, Jehan, Loÿs et Robert, nous serions recouvrez et serions tous seigneurs du païs. Ainsi venrions trop legiere­[me]nt a nostre entente, car on ne se donne garde de nous, et le sejourner ycy ne vous vault noient.

« – C’est verité, respondismes nous.

« Tout li eusmes en couvent, et nous ordon­nasmese sur ce point tantost et incontinentf.

« Or advint, dist le Bascot de Maulion, que nostre affaire fu sceu en la garnisong de Sancerre, car pour ce temps il y avoit un capitaine, vaillant escuier nez de Bourgoigne des basses marchesh qui [226rb] s’appelloit Guichart Albiegon5, le quel s’aquitta moult grandement de garderi la ville, le chastel et la terre de Sancerre, et les enfans et seigneurs, car tous trois estoient lors chevaliersj. Cil Guichart avoit un frere, moynek de l’abbaie Saint Thibaut qui siet assez pres de Sancerre. Si fu envoiez cil moine a Albregon a La Charité sur Loirel depar son frere pour aporter une raençon d’un pattis que aucunes villes devoient dessus le paÿs. On ne se donna pas garde de lui. Il sceut, ne sçay comment ce fu, toute nostre entente et cou­vine, et tous les noms des capitaines des fors d’environ La Charité et leurs charges, et aussi a quele heure et ou et comment ilz devoient passer la riviere au Port Saint Thibaut. Sur ce point il retourna et en enfourma son frere. Les enfans de Sancerre, le conte et ses freres, se pourveurent contre ce au plus tost qu’ilz peurent et manderent l’affaire aux chevaliers et escuiersm de Berry et de Bourbonnois et aux capitaines des garnisons de la entour, et tant qu’ilz furent bien quatre cens lances de bonnes gens. Et proposerentn une belle em­busche de deux cens lances au dehors de San­cerre en un boys. Nous nous partismes a souleil esconsant de La Charité, et chevau­chasmes tout ordonneement le bon pas et venismes a Peully6 ; et la dessoubz au port avions fait venir grant foison de batiaux pour nous passer, nous et noz che­vaulx, et passasmes tout oultre Loireo, si comme ordonné l’avions, et fusmes tous oultre environ mienuit, et passoient noz che­vaulx tout bellement. Et pour ce que il adjournoit, nous ordonnasmes cent lances des nostres a demourer derriere pour garder les chevaulx et la navie, et le demourant nous meusmes le bon pas et passasmes tout oultre l’embusche qui

  1. Thibaut de Rougemont († 1406) ?
  2. Thomas Voudenay. † 1385.
  3. Saint-Thibaut (Cher), près de Sancerre.
  4. Jean, Louis, Robert et Étienne, fils de Louis de Sancerre, mort à Crécy en 1346. Ces événements eurent lieu en 1364.
  5. Guichard Aubergeon, encore capitaine de Sancerre vers 1395.
  6. Pouilly-sur-Loire, chef-lieu de canton (Nièvre).