229r

[229ra] passé entre le chastel de Ministros1 et Montfaucon2, et s’en venoit ridanta le païs vers un village que on dit La Baterie3, entre Nonnay et Saint Julien ou Boys4. La a un destroit ou il fault que on passe, comment que ce soit, ne on ne le puet eschiver qui veult faire ce chemin, se on ne va parmi Nonnay. La estoit l’embusche du sei­gneur de la Volte, ou bien avoit5 .ij. cens lances. Loÿs Rainbaut ne se donna de garde quant il fub emmi eulx. Le sires de la Volte et ses gens qui estoient tous pourveuz de leur fait abaissierent les lances et s’en vindrent escriant :  « La Volte ! » ferir a ces compaignons qui chevauchoient esparsc et sans arroy. La en y ot de premiere venue la grei­gneur partie de coups de lances rüez par terre, et fu Loÿs Rainbaut joustez et portez jusd de son cheval d’un escuier d’Auvergnee qui s’appelloit Amblardon de Villejaque6. On s’arresta sur lui ; il fu prins, et tout le demourant mort ou prins, onques riens n’en eschapa. Et trouverent en bouges la somme de trois mil frans que Loÿs Rainbaut avoit receuz a Anse pour le pattisf des villaiges de la environ, dont li compaignon orent grant joie, car chascun en ot sa part. Quant Lymo­sin vit Loïs Rainbaut ainsi atrapé, il se monstra en sa presence et dist par remposneg7:

« “Loÿs, Loÿs, ci fauldra compaignieh. Sou­viengne vous du blasme et de la vergoigne que vous me feistes recevoir a Brude pour vostre amiei. Je ne cuidasse pas que pour une femmej, se j’avoie ma grace a lui et elle a moyk, que vous me deussiez avoir fait recevoir ce que je receuz. Se la cause pareille vous feust advenue a moy, je ne m’en feusse ja courrouciez, car deux compai­gnons d’armes telz que nous estions lors se pouoient bien au besoing passer d’une [229rb] femmel 8.”

« De ceste parole commencierent les sei­gneurs a rirem, mais Loÿs n’en avoit talentn. Par celle prinse de Loÿs Rainbaut rendirento ceulx qui es­toient en Brude la ville au seneschal d’Au­vergne, car puisqu’ilz avoient perdu leur capitaine et toute la fleur de leurs gens, il n’y avoit point de tenue. Aussi firent ceulz d’Anse et autres fors quip se tenoient en Villay et en Forésq de leur partie, et furent tous liez ceulz qui encloz estoient, quant on les laissa partir sauve[s] leurs vies. Lors Loÿs Rainbaut fu amenez a Nonnay et la emprisonnez. On en escripsi devers le roy de France, le quel ot grant joie de sa prinse. Assez tost aprés on en ordonna. Il me semble, a ce que j’ay oÿ recorder, que il ot la teste couppee a Villeneuve delez Avi­gnon. Et ainsi advint de Loÿs Rainbaut ; Dieu ait l’ame de li.

« Or, beau sire, dist Bascot de Maulion, vous ay je bien tenu de paroles pour passer la nuit, et toutefois elles sont vraies.

– Par ma foy, respondi je, ouil, et grant mer­cis. A voz comptes oïr ay je eu part autant bien que li autrer, et ilz ne sont pas perduz, car se Dieu me laisse retourner en mon paÿs et en ma nacion, de ce que je vous ay oÿ dire et compter, et de tout ce que je aray veü et trouvé sur mon voyage qui appartiengne a ce que je en face me­moires en la noble et haulte histoire de la quele le gentil conte Guy de Blois m’a embesoigné et en­soignié, je le cronizeray et escriray, afin que avec les autres besoignes dont j’ay parlé en ladicte histoire – et parleray et escripray par la grace de Dieut ensui­vant – il en soit memoire a tous­jours9. »

A ces motz prinst la parole le bourc de Cam­pane qui s’appelloit Ernauton, et commença a parler et eust volentiers, a ce que je me peuz appercevoir, recordé la vie et l’affaire de lui et du bourc anglois10 son frere, et comment ilz s’es­toient

  1. Monistrol-sur-Loire, chef-lieu de canton (Haute-Loire).
  2. Montfaucon-en-Velay, chef-lieu de canton (Haute-Loire).
  3. La Batterie, près de Bourg-Argental, chef-lieu de canton (Loire).
  4. Saint-Julien-en-Jarret (Loire) ?
  5. « Où il y avait bien deux cents lances », c’est-à-dire : deux cents unités de combat comprenant un chevalier portant la lance, un coutelier, un page, un valet et des archers.
  6. Amblardon de Villerague, écuyer auvergnat. Cet événe­ment eut lieu le 1er mars 1365. Le récit contient cependant plusieurs erreurs.
  7. Reproche ou raillerie.
  8. Le compagnonnage d’armes est l’un des liens les plus étroits qui puissent se nouer entre « frères » chevaliers, engageant foi et probité absolues.
  9. Les propos « véritables » du Bascot trouvent ainsi la caution de l’historien.
  10. Le Bourc Anglais.