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[229va] porté en armes en Auvergne et ailleurs, mais il n’eust pas le loisir de faire son compte, car la gaitea du chastel sonna pour as­sem­bler toutes gens d’aval la ville d’Ortais qui estoient tenuz d’aler au soupper du conte de Fois. Lors firent ces deux escuiers alumerb torches, si nous partismes tous ensemble de l’ostel et nous meismesc au chemin pour aler au chastel, et aussi firent tous chevaliers et escuiers qui estoient logiez en la ville.

 

§ 18.

De l’estat et ordonnance du conte de Fois, et comment la ville de Saint Irain se rebella pour les excés qu’on leur faisoit, dont ilz en tuerent pluseursd.

De l’estat, de l’affaire et ordonnancee du gentil conte Gaston de Fois ne puet on trop parler en tout bien, ne recommanderf, car pour le temps que je fu a Ortais1 je le trouvay tel et oultre, dont je ne puis mie de tout parler, mais je sçay bien que par le temps que je y fu, je y vy moult de choses qui me tournerent a grant plaisance, et la vy seoir a table le jour d’un Noël quatre evesques de son paÿs, les deux clementins2, et les deux urba­nistesg 3, l’evesque de Paumiers et l’evesque de Lescalle4, clementins, ceulx sirent au dessus. Et puis aprés eulx l’evesque d’Aireh 5, et l’evesque de Ron6 sur les frontieres de Bordelois et de Baione7, ceulz estoient urbanistesi. Aprés seoit le conte de Fois, et puis le viconte de Roquebertin de Gascoigne8, le viconte de Bruniquiel, le viconte de Gousserant et un chevalier anglois que le duc de Lencastre, qui pour lors se tenoit a Lerbonej 9, avoit la envoié ; et nommoit on le chevalier messire Guillaume Willevy10. A l’autre table seoient cinqk abbez tant seulement, et deux cheva­liers d’Arragon qui s’appelloient messire Raymon de Montflorentin11, et messire Martin de Ruane12. A l’autre table seoient chevaliers de Gascoigne et de Bigorre, premier le seigneur d’Auchin, et puis messire Gaillart de la [229vb] Mote13, messire Raymon du Chastelneuf14, le sire de Chaumont15, Gasconl, le sires de Copane16, le sire de Lane, le sire de Montferrant, messire Guillaume de Benac17, messire Pierre de Courton, le sire de Valenchin18, et messire Angier le Monnem 19 de Bascle, et aux autres tables cheva­liers de Berne grant foison. Et estoit souverain maistre de sallen messire Espaeng de Lion, et quatre chevaliers maistres d’ostel : messire Siquart du Boys Vredun20, messire Pierre de Gabestain, messire Monnaus de Nouvales et messire Pierre des Banso en Bierne. Et servoient ses deux freres bastars : messire Ernault Guillaume et messire Pierre de Berne, et ses deux filz servoient devant lui : messire Yeuwainp de l’[escuelle]q a asseoir tant seulementr, et messire Gracien de la coupe au vin. Et vous di que grant foison de menestrelz, tant de ceulx qui estoient au conte que d’autres estran­giers, avoit en la salle, qui tous firent par grant loisir leur devoir de leur menestrandies. Et ce jour le conte de Fois donna, tant aux menestriers comme aux heraux, la somme de .vc. frans, et revesti les menestriers du duc de Touraine21 qui la estoient, de drap d’or et fourré de fin menu vair, lesquelz draps furent prisiez a .ijc. frans. Et dura le disner jusques a .iiij. heures aprés nonnet.

Et pour ce parole je tres volentiers de l’estat du gentil conte de Fois, car je fu .xij. sepmaines en son hostel, et tresbien administrez et delivrezu de toutes choses. Et durant le temps que je fuz a Ortais je pouoie aprendre et oïr nouvelles de tous paÿs, se je vouloie, des presentes et des passeesv. Et aussi le gentil chevalier messire Espaeng de Lion, en la quele compaignie je estoie entrez ou paÿs, et au quel je m’estoie descouvert de mes besoignes, m’acointoit de chevaliers

  1. Froissart achève le récit de son séjour à Orthez avant de reprendre celui des affaires de Castille et du Portugal. La longue séquence du « Voyage en Béarn » se termine donc sur un portrait de la cour de Fébus où tout semble rentrer dans l’ordre et où chaque figurant occupe bien sa place selon son rang et sa condition. Ainsi se trouve fixée pour le lecteur l’image fastueuse (plutôt que tragique) de la cour de Fébus. À noter, cependant, que Fébus ne disparaît pas pour autant du récit : la manière fort étrange de sa mort sera racontée au Livre IV des Chroniques (et dépeinte dans certaines mini­atures ornant les manuscrits de celui-ci, par ex. British Library, Harley ms. 4379, f. 126 ; cf. Gaston Fébus. Prince Soleil 1331-1391, p. 18).
  2. Adhérents du pape Clément VII à Avignon après 1378.
  3. Adhérents du pape Urbain VI à Rome après 1378.
  4. Eudes, évêque de Lescar, 1368-1401.
  5. Aire-sur-l’Adour, chef-lieu de canton (Landes). L’évêque en était Robert Walderby, 1387-1390.
  6. Oloron-Sainte-Marie, au confluent des gaves d’Aspe et d’Ossau, chef-lieu d’arrondissement (Pyrénées-Atlantiques) dont l’évêque était Roger de Villesangues, 1378-93.
  7. Bayonne, sur l’Adour, chef-lieu d’arrondissement (Pyrénées-Atlantiques). L’évêque urbaniste était Barthélémy d’Arribaire.
  8. Joffre, vicomte de Rocaberti (cf. SHF XII, p. xxxviii, n. 6).
  9. Libourne, au confluent de la Dordogne et de l’Isle, chef-lieu d’arrondissement (Gironde). Si Lancastre se rendit à Lisbonne en 1387, il était en Aquitaine et séjourna à Libourne vers 1388-1389. Cf. R. Guinodie, Hist. de Libourne (Bordeaux, 1845) 60-61 ; nous remercions P. Arette de cette référence.
  10. Très probablement Robert de Willoughby, Anglais, qui servit en Castille avec le duc de Lancaster en 1386-87. † 1396.
  11. Raimond de Saint-Florentin, Aragonais.
  12. Martin de Roanès, Aragonais.
  13. Gaillard de la Motte, noble du Bordelais, qui servit les Anglais en Espagne et ensuite Gaston Fébus.
  14. Raymon de Castelnau.
  15. Nompar de Caumont.
  16. Raymon-Guihelm, sire de Caupenne.
  17. Raimon de Benac, du comté de Bigorre ?
  18. Raimon de Balansun.
  19. Audgair Münch, le « Moine de Bâle » ? – ou peut-être bien un capitaine d’origine basque (« de Bascle » ; v. SHF XII, xxxix, n. 7).
  20. Chiquart de Bois-Verdun.
  21. Louis, second fils de Charles V, roi de France.