235v

[235va] de son royaume ; si l’avoit le roy de Portingal retenu et fait capitaine de tous ses chevaliers. A ce conseil demonstra li roys pluseurs choses, et dist :

« Beaux seigneurs qui ci estes, je sçay bien que vous estes tous mes amis, car vous m’avez fait roy, et vous vëez comment pluseurs gens de mon royaume a mon grant besoing s’escusent, et ne les puis avoir pour mettre sur les champs, car en verité se je les veoie de aussi bonne volenté comme je sui pour aler combatre mes ennemis, je en auroie joye grant, mais nennil, car je voy que ilz se refraignent et se dissimulent. Si me fault bien avoir conseil sur ce comment je me pourray ordon­nera, et m’en responnez vostre advis, je vous en pri. »

Adonc parla messire Gommesb de Carbes­ten, un chevalier portingalois, et dist :

« Sire, je vous di et conseille pour vostre honneur et prouffit que au plus tost que vous pourrez vous vous traiez sur les champs avecques ce que vous avez de gens et vous aventurez, et nous aussi nous demourrons avecques vous et vous aiderons jusques a la mort, car nous vous avons fait seigneur et roy de ceste ville. Se il y a en Portingaloisc aucuns rebelles ou arrogansd a vous, je di – et aussi dient li pluseurs de ceste ville – que c’est pour la cause de ce que on ne vous a point veü encores chevauchier ne monstrer visaige a voz ennemis. Vous avez eu jusques a ores la grace et la renommee d’estre vaillant homme aux armes, et au besoing vostre vaillance vous fault. C’est ce qui a fait enorguillir voz ennemise et refroidier voz subgiez, car se ilz veoient en vous fait de vaillance et proesce, ilz obeïroient et vous doubteroient, aussi feroient voz ennemis.

– Par mon chief, dist le roy, vous parlez bien, et il est ainsi. Et je vous di, messire Gomme, que tantost on face appareillier noz hommes [235vb] et ordonner chascun selon lui, car nous chevauche­rons temprement et monstreronsf visaige a noz ennemis ; ou nous gaignerons tout a ceste fois, ou nous le perdrons.

– Monseigneur, respondi le chevalier, il sera fait, car se vous avez la journee pour vous et Dieu vous envoie bonne fortune, vous demourrez roy de Portingal pour tousjours mais, et si en serez louez et prisiez en estranges terres ou la congnoissance en venra. Et au parfait de l’eritaige vous ne pouez venir forsg que par bataille. Et exemple je vous faiz du roy damp Henry vostre cousin, le pere de Jehan qui est roy a present de toute Castille, d’Espaigne et de Tollete1, de Galice et de Cor­duan2 et de Sebille. Il vint a tous ces heri­taiges par bataille, ne jamais il n’y feust venu autrement, car vous savez comment la puissance du prince de Galles et d’Acquittaine remist le roy dam Pietreh vostre cousin en la possession et heritaigei des terres encloses dedens les Espai­gnolzj, et depuis par une journee de bataille que il ot contre lui devant Mancueil3 il perdi tout. Et fu icellui roy Henry en possession comme devant, a la quele journee il aventura soy et les siensk. Tout aussi vous fault il aventurer se vous voulez vivre a honneur.

– Par mon chief, dist le roy, vous dittes voir, et jamais ne vueil avoir autre conseil que cestui, car il nous est prouffitable et honnourablel. »

Surm cel estat se departi le parlement, et fu or­donné que dedens trois jours on se mettroit sur les champs, et prendroit on terre et place pour attendre les ennemis. On tint ces trois jours les portes de Lusebonne si closes que oncques homme ne femme n’en sailli, car le roy ne li Luse­bonnois ne vouloient pas que leurs ennemis sceu­ssent leur entencion

  1. Tolède, sur le Tage, capitale de la Castille (Espagne).
  2. Cordoue, sur le Guadalquivir, chef-lieu de province, en Andalousie (Espagne).
  3. La bataille de Montiel, le 14 mars 1369 ; Sumption, Trial by Fire…, p. 576).