246r

[246ra] ne point ne s’en vouloient partir, ne pour le roy de France ne pour le duc de Bre­taigne1 a qui il en appartenoit, et en avoient pluseurs fois escript devers le dit duca, le duc de Berry, le duc de Bourgoigne et le conseil du roy, car lors – si comme vous savez – le jeune roy de France estoit ou gouvernementb de ses oncles, si avoient prié au duc de Bretaigne qu’il voulsist mettre cure et diligence a conquerirc son heritaige le chastel de Brest, qui grandement estoit ou preju­dice de lui, quant Angloiz le tenoient. Le duc, tant par la priere des dessus nommez comme pour ce aussi, a voir dire, que il veist volentiers que il feustd sire de Brest, avoit une fois mis siege devant, mais riens n’y avoit fait et s’en estoit partis, et disoit qu’on n’y pouoit riens faire, dont aucuns chevaliers et escuierse de Bretaigne murmuroient en derriere et disoient que il se faignoit et dissimuloitf, et que ceulx qui le tenoient estoient si grans amis, et ne vouldroit pas pour toute paixg que il feust en ses mains ne en la saisineh du roy de France, car se les François le tenoient il n’en seroit point sires, mais plus foible. Et les Angloiz, quant ilz le tiennent, ne l’osent courroucier. De quoy pour ces choses considereesi, il estoit advis au connestable de France que le chastel et la ville de Brest qui la estoit a fermeteurej et qui estoit ennemi au royau­me de France, ou cas que le duc de Bretaigne le mettoit en nonchaloir, ne gisoit pas honnourable­ment pour lui ne pour les chevaliers de Bretaigne. Si ordonna a mettre siege devant, et envoia grant foison de chevaliers et d’escuiersk de Bretaigne desquelz il fist souverains mais– [246rb] –tres et capitaines le seigneur de Malestrait2, le viconte de la Berlierel 3, Morfouacem 4 et le seigneur de Rochedurantn 5. Cilz .iiij. vaillans hommes s’en vindrent mettre le siege au plus pres de Brest que ilz porent, et firent faire et charpenter une tres belle bastide, et environner de pallis et de portes, et cloïrent a ceulx de Brest toutes leurs aisanceso et issues fors celles de la mer – ceste n’estoit pas en leur puissance de cloire – et vous di que devant Brest avoit souvent aux barrieres es­carmouches et faiz d’armes, car les compaignons qui desiroient les armes tout esbatant s’en ve­noient jusques aux barrieres traire et lancier et resveillier ceulx de Brest qui aussi les requeilloient et recevoient aux armes vaillamment6. Et quant ilz s’estoient la combatu une longue piece, et tele foiz estoit navré et blecié l’un l’autre, ilz se re­traioient, mais pou de jours estoient que il n’y eust quelque chose et quelque avenue de faiz d’armes entr’eulx.

En ce tempsp se tenoit en la marche de Thou­louse un vaillant chevalier de France le quel s’appelloit messire Gautier de Pasac7, grant et bon capitaine de gent d’armes. De la nacion de Berri et des frontieres de Lymosin estoit li cheva­liersq, et avoient devant sa venue le seneschal de Thoulouse messire Rogier d’Espaigne, messire Hue de Froideviller 8 et le seneschal de Carcas­sonne escript en France devers le conseil du roy l’estat du païs, car il y avoit sur les frontieres de Thoulouse et de Rabestens pluseurs compaignonst aventureux lesquelz estoient tous issus de Lourde et de Chastel Cullier9, qui fai­soient guerre d’Anglois et tenoient les fors qui ci s’ensuivent : Saint Sorguetu 10, La Boufee11, Pulpuron12, Cruvalev 13, le Mesnil14, Rochefort15, le Dos Julien16, Navaret17, et plu­seurs autres

  1. Jean IV de Montfort, duc de Bretagne (1365-1399).
  2. Jean de Malestroit, seigneur breton, suivit la guerre en plusieurs pays.
  3. Jean Raguenel, Breton, vicomte de la Bellière, fils de Guillaume Raguenel et de Jeanne de Montfort.
  4. Guillaume Picard, dit Morfouace, capitaine breton ?
  5. Charles de Dinan, sire de la Roche-Derrien.
  6. Sur le motif du « combat aux barrières », voir notre « As­neton, Chandos et “X” : Jean Froissart et l’éclosion des mythes », dans « Et c’est la fin pour quoi sommes en­semble » : Hommage à Jean Dufournet. Littérature, histoire et langue du Moyen Age, 3 vols., H. Champion (Paris, 1993), t. I, 55-73.
  7. Gaucher de Passac, chambellan et capitaine des gardes de Charles VI, et capitaine général en Languedoc ; ce soldat berrichon mena une vie militaire très active. Sur la campagne que voici, consulter Edmond Cabié, Campagne de Gaucher de Passac contre les routiers du sud-ouest de la France, 1384-1385, extrait de la Revue du Tarn, Impr. Nouguiès (Albi, 1901) : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k851902n
  8. Hugues de Froideville, alors sénéchal de Toulouse (G. Dupont-Ferrier, Gallia regia, t. V, Paris, 1958, p. 481, no 21406).
  9. Castelculier, au sud-est d’Agen (Lot-et-Garonne).
  10. Saint Cirq, ou Saint-Cirguet, cant. de Caussade (Tarn-et-Garonne).
  11. Saint-Paul-la-Bouffie, cant. Castelnau-Montratier (Lot).
  12. Pechpeyroux, comm. Cézac, cant. Castelnau-Montratier (Lot).
  13. Curvale, cant. Alban (Tarn).
  14. Localisation indéterminée.
  15. Roque-d’Arifat, cant. Réalmont (Tarn).
  16. Petit fort, vraisemblablement situé entre Odos et Juillan (Hautes-Pyrénées) près de Tarbes, selon P. Arette : « Sans doute devait-il être situé entre les deux territoires actuels de Juillan (au S-O. de Tarbes, limitrophe, 6,8km) et d’Odos, commune voisine (idem, 5,1km), d’où le nom Dos-Julien qui lui est accolé. Les deux villages se trouvent à environ 16-18km au N-E. de Lourdes, soit entre les deux villes. Il est facile de concevoir que la tactique de Gaucher de Passac devait consister à isoler au maximum le château de Lourdes de tous ses avant-postes (même configuration pour Navaret) dans l’arrière-pays pour mieux l’affaiblir, sachant bien comme l’indique Froissart que ‘Lourde est un chastel impossible à prendre’ ».
  17. Le château fort de Cieutat (de Navarret), aujourd’hui disparu ; autrement connu sous le nom La Civitat.