252r

[252ra] que ilz n’en estoient pas tailliez ne dignesa, dont il leur en ennuyoit, et quant ilz peurent ilz le monstrerent, car pour la dureté que le conte d’Armignac et le sire de Labret trouvoient ou prince, se tournerent ilz françois, et aussi firent pluseurs chevaliers et escuiers de Gascoigne. Le roy Phelippe de France et le roy Jehan son filz les avoient perduz par haultainetéb, aussi fist le prince1, et le roy Charles de bonne memoire les racquist par doulceur, par largesce et par humilité – ainsi veulent estre Gascons menez – et encores a fait le roy Charles, afin que l’amour s’entre­tiengne plus longuement entre eulx seigneurs, un mariage dec la suer de sa femme, madame Ysa­bel de Bourbon, au seigneur de Labreth2, le quel en a de beaux enfans, et c’est la cause par la quele l’amour se entretendra plus longuement. Si oÿ je une foiz dire au seigneur de Labreth a Paris ou j’estoie avecques autres seigneurs, une parole que je bien notay, mais je croy que il la dist par esbatementd ; toutefoiz me sembla il que il parloit par grant sens et par grant advis, a un chevalier de Bretaigne qui l’avoit servy pluseurs foiz, car le chevalier lui avoit demandé des besoignes de son paÿs et comment il savoit contenir a estre françoise, et il respondi ainsi :

« Dieu merci, je me porte assez bien, mais j’avoie plus d’argent, aussi avoient mes gens, quant je faisoie guerre pour le roy d’Angleterre, que je n’aie maintenant, car quant nous chevau­chions a l’aventure, ilz nous sailloient en la mainf aucuns riches marchans de [252rb] Thoulouse, de Condon, de La Riole ou de Bregerath ; tous les jours nous ne faillions point que nous n’eussions quelque bonne prinse dont nous estions friques et jolisg. Et maintenant tout nous est mort. »

Et le chevalier commença a rire et dist :

« Monseigneur, voirement est ce la vie des Gascons ; ilz volent volentiers sur autrui dom­maigeh ! »

Pourquoy je di, jei qui entendi ceste parole, que le seigneur de Labreth se repentoit assez pres de ce qu’il estoit devenus françois, ainsij que le sire de Moucident, Gascon3, qui fu prins a la bataille d’Aimet, et jura en la main du duc d’Anjou qu’il vendroit a Paris et se tourneroit bon François, et demourroit a tousjours mais. Voirement vint il a Paris, et li fist le roy Charles tres bonne chiere, mais il ne lui sceut onques tant faire que le sire de Moucident ne s’emblast du royk et s’en retournast sans congié prendre en son païs, et devint angloiz et rompi toutes les couvenances que il avoit au duc d’Anjou. Aussi fist le sire de Rosem4, le sire d[e]l Duras5 et le sire de Langurant6 m. Tele est la naturen des Gascoings : ilz ne sont point es­table, mais encores aiment ilz plus les Angloiz que les François, car leur guerre est plus belle sur les François que elle ne soit sur les Angloiz, c’est li uns des plus principaulx incidences qui plus les y encline.

 

§ 25.

Comment le roy de Chippre fu tué et murtri en son lit par son propre frere par l’ennortement et corrupcion des mescreans, pour la bonté et la hardiesce qui estoit ou roy7 o.

En ce temps vindrent autres nouvelles en France, car le roy Lion d’Ermenie8 y vint, non pas en trop grant arroy mais aussi comme un roy enchaciezp et boutezq hors de son

  1. Écho du thème boécien de la roue de Fortune…
  2. « Le sire d’Albret épousa une sœur de la reine de France » (SHF XII, p. lii-liii, n. 1 ; Marguerite, et non Isabelle, de Bour­bon, fille de Pierre 1er duc de Bourbon, et sœur de Jeanne de Bourbon, femme de Charles V).
  3. Raimond de Montaut, seigneur de Mussidan (Dordogne, arr. Ribérac). Voir le début du Livre II des Chroniques de Froissart.
  4. Guillaume Aramon de Madailhan, seigneur de Rauzan (Gironde, arr. Libourne, cant. Pujol).
  5. Guillaume de Durfort, seigneur de Duras (Lot-et-Garonne, arr. et cant. Marmande).
  6. Bérart d’Albret, seigneur de Langoiran.
  7. Rubrique sans détour…
  8. Léon VI de Lusignan, roi d’Arménie (1374-75), fils de Jean de Lusignan ; décédé à Calais en 1393 et inhumé à l’abbaye de Saint-Denis. Il arriva à Paris en 1384 : consulter F. Autrand, Charles VI, Fayard (Paris, 1986), p. 144.