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[255ra] oïrenta, pour aidier et exaulcier nostre foy et destruire les mes­creansb. Encores fist le conte de Lazara autre chose, car il fist copper les haulx bois es forests et es montaignes, et couchier tout a travers, par quoy les Turs ne peussent point trouver de nouvel chemin, ne faire. Et s’en vint sur un certain pas, la ou il pensoit et bien savoit que il couvenoit que l’Amorath Baquin et ses gens passassent et en­trassent en Honguerie, le quel conte de Lazara mena et conduisi a ce pas avecques lui bien .x. mil hommes hongres, et bien .x. mil arbalestriers, et mist sur les deux esles des chemins et des pas plus de .ij. mil hommes païsansc tous tenans hasches et grosses coingnies pour copper les bois et clorre les chemins quant temps seroit. Quant tout ce fu fait, il dist a ceulx qui avecques lui es­toient :

« “Seigneurs, sans faulte l’Amorath Baquin vendra, puisqu’il m’a mandé. Or soiez tous preu­dommes et aidiez a garder ce passage, car se les Turs le conquierent, toute Honguerie est en peril et en aventure d’estre perdued. Nous sommes en fort lieu, un de nous en vault quatre ; encores nous vault miex mourir a honneur en gardant nostre heritaige et la foy de Jhesu Crist, que vivree en honte et en servaige dessoubz ces chiens mes­creans, combien certes que l’Amorath soit moult vaillant homme et preudomme en sa loy1.”

« Tous respondirent :

« “Sire, nous attendrons l’aventure avecques vous. Viengnent li Turc se ilz veulent, nous sommes prests d’eulx recevoir.”

« Et de toutes ces ordonnances ne de ces passaiges [255rb] garder ne savoient riens les Turs, car le conte de Lazara pour la doubtance des espies, et que leur contenement et abillement ne feust revelez et sceuz devers l’Amorath Baquin, avoit mis certaines gens sur les passages esquelz il se confioit autant comme en lui meismesf, qui bien gardoient de jour et de nuit que nul n’aloit ne venoit devers les Turs. »

 

§ 27.

Comment les Hongres desconfirent l’avant­garde de l’Amorath Baquin, et comment il se repenty de son empriseg.

« L’Amorath2 h Baquin ne mist pas en oubli son emprinse, mais dist que il envoieroit veoir et visiter la terre au conte de Lazara a son grant dommaige, car il ne vouloit pas que il feust trouvé et tenu pour menteuri de ce que il avoit promis. Il prinst environ .lxm. hommes des siens, car il en avoit bien .ccm. sur les champs, et leur bailla .iiij. capitaines de sa loy et de son hostel : le duc Man­sion de Meque3, la Garde de Damiete4, Aphalori de Samarra5, et le prince de Cordes6, filz a l’Amuscantj de Cordes qui s’appelloit Brahin7, et leur dist ainsi au departir :

« “Alez vous ent a toutes voz gens, ceulx que je vous ay delivrez – c’est assez pour

  1. Discours relevant d’une tradition selon laquelle le chef somme ses hommes de défendre l’« héritage » (leur patrie, leur langue) ou bien, comme dans ce cas, la religion chré­tienne.
  2. Continuation du récit du roi d’Arménie, en style direct.
  3. La Mecque, ville sainte située en Arabie Saoudite.
  4. Damiette (en arabe Dumyāt), ville portuaire du nord de l’Égypte, à 200km au nord du Caire.
  5. Aphalori de Samarra : chef militaire ottoman ?
  6. L’identité de ce personnage nous demeure inconnue.
  7. L’identité de ce personnage nous demeure inconnue.