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[256ra] et le monstra de fait. Et dist bien l’Amorath que il est moult vaillans homs, et le tient et le cuide encores pour plus vaillant homme assez que il ne soit. On a bien conseillié au conte de Lazara que il le voise veoir, et que bien il se puet asseurer sur son saufconduit, et que pour riens il ne lui defaudroit, ne icellui enf[r]aindroita.

« “Je le croy bien, dist le conte, mais ja ne me verra. Quel chose aroye je gaingnié, se il m’avoit veü, et je lib?”

« Et plus se excuse le conte, et plus a grant desir l’Amorath de lui veoir. Ainsi se tient l’Amorath Baquin sur les frontieres du royaume de Hongrie, et soubtille nuit et jour comment a poissance il y peust entrer pour sousmettre le roy et les sei­gneurs voisins1, mais il pert sa paine, car les entrees de Honguerie sont trop fortes, se ce n’est ou droit chemin de Constantinoble, mais de celle part il n’y fait pas si durc ne si fort entrer comme il fait devers les haulz bois, et se les haulz bois de Honguerie estoient passez par fortune ou par aventure ou par povre garde, on seroit seigneur de la greigneur partie du païs de Honguerie. ».

Moultd volentiers fu le roy d’Ermenie oÿs de toutes ses parolese, car elles estoient tant comme aux seigneurs auxquelz ilz les demonstroit, nouvelles. Et nature est encline grandement en l’omme a oïr nouvelles choses. Le roy de France et son conseil eurent grant pitiéf de lui pour tant qu’il estoit la venus de si long païs comme de Grecceg querir conseil et confort, et pour ce aussi qu’il estoit roy et l’avoit on bouté hors de son royaume, et n’avoit a present [256rb] de quoy vivre ne tenir son estat, ce monstroit il bien par ses complaintes. Si dist le roy de France, combien jeunes que il feust pour ce temps,

« Nous voulons de fait que le roy d’Ermenie qui nous est venu veoir en esperanceh d’amour et de bien, de si loingtain païs que de Grece, que il soit du nostre telement aidiez et confortez que il ait son estat grant et ordonné ainsi comme il appar­tient a lui qui est roy si comme nous sommes. Et quant nous pourrons, de gens d’armes et de voiage nous le conforterons, et aiderons a recou­vrer son heritaige. Nous en avons bonne volenté, car nous sommes tenu de exaulcier la foy cres­tienne. »

La parole du roy de France fu bien oïe et entendue, ce fu raison, nul n’y contredist, mais furent ses oncles et le conseil du roy desirant de l’accomplir. Et oultre, si fu regardé que le roy d’Ermenie, pour tenir un estat moien, seroit asse­nez d’une rente et revenue par an sur la chambre des comptes, et bien paié de moys en moys et de terme en terme ; si fu assignez le dit roy d’Ermenie de six mil fransi par an, et en ot .v. mil presente­ment pour lui pourveoirj de chambre, de vaisselle et d’autres menues neccessitez, et li fu delivrez l’ostel de Saint Aulvain2 delez Saint Denis pour la demourer, li et ses gens, et tenir son estat. Celle recouvrance ot le roy d’Ermenie du roy de France de premiere venue, et tousjours en accroissant3. On ne lui amenrik point, mais accrut on, et estoit a la foiz avecques le roy et par especial aux festes solennelles.

 

§ 28.

Comment le pape Climent et le pape Urbain eurent discencion eulz deux, et comment les roys de la crestienté sont differens a l’eslec­cion pour les guerres d’entr’eulx l.

  1. Présent dramatique évoquant l’état d’esprit du personnage.
  2. Saint-Ouen-lès-Saint-Denis, d’après Pannier (SHF XII, p. lvi, n4), où se trouvait au XIVe siècle la chapelle de l’Ordre de l’Étoile.
  3. Le 31 octobre 1384 Léon reçut mille francs du duc de Bourgogne ; le 9 décembre de la même année il donna quittance à Jean Chanteprime de 500 francs de pension mensuelle pour le mois de novembre (SHF XII, p. lvi, n3). Il recevait encore des dons en 1388.