262v

[262va] que elle clamoit a la couronne de Portingal, du droit aussi du roy Jehan de Portingal, le quel les communaultez avoient couronné a roy, une foiz entre les autres il avoit donné a disner au grant maistre de Saint Jaque et a Laurencien Fougasse de Portingal en sa chambre tout quoie­ment, dont aprés disner il fist tout homme partir et appella les dessusdiz moult amoureusement, et les mist en parole des besoignes de Portingal. Et pour tant que Laurencien Fougasse savoit parler tresbeau françois et a traita, et bien li seoit et ap­partenoitb, le duc adreça sa parole a lui et lui dist :

« Laurencien, je vous pri que vous me comp­tiez tout, de point en point et de membre en mem­bre, la condicion et maniere de vostre terre de Portingal, et quelles choses y sont advenues de­puis que mon frere s’en parti1, car le roy de Portingal m’a escript qu’il n’y a homme en Portin­gal qui si justement m’en puisse enfourmer comme vous ferez, et je vous di que vous me ferez grant plaisance.

– Monseigneur, respondi l’escuier, a vostre plaisir. »

Lors commença Laurencien a parler, et dist en tele maniere :

« Advenuc est en Portingal depuis le departe­ment de vostre frere le conte de Cantebruge que le royaume a esté en grant trouble et discen­sion, et en grant aventure d’estre tout perdu, mais Dieu merci, les besoignes y sont a present en bon point et en ferme convenant, et on ne se doit pas esmerveillier se empeeschementd y ot, car se Dieu n’y eust ouvré par sa gracee, les choses s’i feussent mal portees, et tout par le pechié et coulpe du roy Ferrant derrenierement mort2 ; c’est la voix et le renommee de la plus saine partie du paÿs. [262vb] Car le roy Ferrant en sa vief ama ardamment de forte amour une dame3, femme d’un sien cheva­lier le quel on clamoit messire Jehan Lorens de Cogneg. Celle dame, pour sa beauté le roy de Portingal la voult avoir de force, car la dame s’en defendi tant comme elle pot, mais en la fin il l’ot, et lui dist :

« “Dame, je vous feray royne de Portingal, je vous aime. Ce n’est pas pour vous amenrir mais exaulcier, et vous espouseray.”

« La dame, a genoulz et en plorant, lui dist :

« “Haa ! Monseigneur, sauve soit vostre grace, je ne puis avoir honneur a estre royne de Portingal, car vous savez – et aussi scet tout le monde – que je ay seigneur et mari, et l’a ja .v. ans esté.

« – Alienor, dist le roy, ne vous escusez point, car je n’aray jamaiz autre femme a espouse, si vous aray eue, mais tant y a que je vous feray quitter de vostre mari avant que je vous espouse.”

« La dame n’en pot autre chose avoir, et compta tout le fait a son mari. Quant le chevalier entendi ce, si fu tout pensif et merencolieux, et regarda que bon en estoit a faire, et dist en soy meismes que ja il il ne quitteroit sa femme. Toute­voies il doubta le roy et se parti du royaume de Portingal et s’en ala en Castille devers le roy Henri qui le reçut et le retinst de son hostel tant comme il vesqui, et aussi fist le roy Jehan de Castilleh qui est a present. Le roy de Portingal, pour accomplir sa folle plaisance, envoya querre la dame et le chevalier, mais on ne trouva pas le chevalier, car il s’estoit partis. Adonc manda le roy l’evesque de Connimbres, le quel estoit chancelier pour le temps

  1. À la fin de l’été 1382.
  2. Le 22 octobre 1383.
  3. Leonor Téllez de Menezes, épouse de João Lourenço da Cunha.