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[263va] ou fait mourir son frere qui s’appelloit maistre [d’Avis], mais pour tant que il veoit que cil se tenoit en sa maison coiement avecques ses freres de l’ordre, il ne pensoit riens sur lui et le laissoit vivre en paix. Et la discension qui est a present entre les Casteloingsa et les Portingaloiz, certainement, Monseigneur, a parler par raison, les Espaignolz en sont cause et coulpe.

– Et pourquoy ? dist le duc.

– Je le vous diray, respondi l’escuier. Les Casteloings virent que le roy Ferrant ot marié sa fille a leur seigneur le roy de Castille. Il leur sembla que il avoit acheté la paixb a eulx, et qu’il les doub­toit, si s’en orguillirent grandement et en commen­cierent a tenir leurs remposnesc et leurs groz motz, lesquelz les Portingalois oioient trop envis, car ilz disoient ainsi en leur langaige :

« “O ! entre vous de Portingal, tristresd gens rudes comme bestes, le temps est venu que nous arons bon marchié de vous. Ce que vous avez est et sera (sera) nostre. Nous vous mettrons par tasseaux et par trouppeauxe, si comme nous fai­sons les Juifsf qui demeurent par treu dessoubz nous. Vous serez noz subgiez, a ce ne pouez vous contredire ne reculer, puisque nostre sire le roy de Castille sera vostre roy.”

« Telz parolesg et d’autres aussi folesh et venimeuses estoient servi[s] et appellez souvent les Portingallois des Espaingnolz quant ilz les trouvoient, et proprement le roy Ferrant vivant, dont les Portingalois accueillirent les Casteloings en tel hayne que, quant le roy Ferrant ot marié sa fille au roy de Castille, et il fu cheüz en maladie et en langour qui lui dura plus d’un an entieri, es citez et bonnes villes de Portingal les hommes murmu­roient ensemble [263vb] et disoient :

« “Il vault mieulx mourir que d’estre ou dan­gier ne en la subgeccion des Casteloings.”

« Et lorsque le roy Ferrant fu mort1 qui fu ensepulturez en l’eglise de Saint François [aux] freres religieuxj en la cité de Lusebonne, les citez et bonnes villes et chasteaulx du royaume de Portingal se cloïrent, et fu mandé a Lusebonne le roy qui est a present, des Lusebonnois, liquel savoient bien l’entencion et couraige de trois autres citez de Portingal, c’est a entendre de ceulx du Port de Portingal, de ceulx de Conninbresk et de ceulz de la ville et cité d’Evre2, et lui distrent :

« “Maistre [d’Avis], nous vous voulons faire roy de ce paÿs, ja soiez vous bastart, mais nous disons que madame Bietrix vostre cousine la royne de Castille est plus nee en bastardiel que vous ne estes, car encores vit le premier mari madame Alienor, nommé messire Jehan Leurens de Coigne. Et puisque la chose est avenue ainsi que la couronne de Portingal est cheüe en deux mem­bres, nous prendrons le plus prouffitable pour nous ; et aussi la plus saine partie s’encline que nous vous façons roy, car ja a femme la couronne de Portingal n’yra, ne ja en la subgeccion du roy de Castille ne des Casteloings nous ne serons3. Si avons plus chier que vous preigniez tout le nostre pour nous aidier a garder et tenir en droit noz franchises, que ceulx de Castille en soient maistres ne seigneurs. Si recevez ce don et la couronne de Portingal, car nous voulons qu’il soit ainsi.”

« [Ce] maistre [d’Avis], Monseigneur, qui est roy a present, ne prinst pas ne ne reçut a la pre­miere fois ne a la

  1. Fernando mourut le 23 octobre 1383.
  2. Évora.
  3. Plusieurs circonstances compromettaient Béatriz : elle était femme ; elle était née d’une mère dont le mari vivait encore ; le sentiment très accusé contre le parti qui défendait les intérêts de la noblesse de Castille dont, ayant épousé le roi, elle était devenue reine.