220v

[220va] du roy de Navarre1 qui fu frere a celle dame, car le roy de Navarre plegea le seigneur de Labreth, que le conte de Fois tenoit en prison, pour la somme de cinquante mil frans. Le conte de Fois, qui sentoit ce roy de Navarre cauteleux et malicieux2, ne les li vouloit pas croire, dont la contesse de Fois avoit grant despit et grant indignacion envers son mari, et lui disoit :

« “Monseigneur, vous portez pou d’onneur a monseigneur mon frere, quant vous ne li voulez croire cinquante mil frans. Se vous n’aviez plus jamaiz des Hermignaz ne des Labrissiens que vous avez eu, si vous devroit il souffire, et vous savez que vous me devez assigner pour mon douaire de .lm. frans, et ceulx mettre en la main de monseigneur mon frere. Si ne pouez estre mal paiez.

« – Dame, dist il, vous dictes voir, mais se je cuidoie que le roy de Navarre deust la contourner ce paiement, jamais le sire d’Alebreth ne partiroit d’Ortais, si seroie paiez jusques au derrain denier. Et puisque vous en priez, je le feray, non pas pour l’amour de vous, mais pour l’amour de mon filz.”

« Sur ceste parole et sur l’obligacion du roy de Navarre qui en fist sa debte envers le conte de Fois, le sire de Labreth fu quittez et delivrez, et se tourna françois3 et s’en vint marier en France a la suer le duc de Bourbon4. Et paia a son aaise au roy de Navarre, au quel il estoit obligiez, .lm. frans, mais point ne les envoioit au conte de Fois. Lors dist le conte a sa femme :

« “Dame, il vous fault aler en Navarre devers vostre frere le roy, et lui dictes que je me tieng mal content de li, quant il ne m’envoie ce qu’il a receu du mien.”

« La dame respondi que elle yroit tres volen­tiers, et s’en departi du conte avec son arroy, et s’en vint a Pampelune5 devers son frere, qui la reçut liement. La dame fist son message bien et a point. Quant le roy l’ot entendue, si respondi et dist :

« “Ma belle [220vb] suer, l’argent est vostre, car le conte de Fois vous en doit douer ; ne jamaiz du royaume de Navarre ne partira puis que j’en sui au dessus.

– Haa ! Monseigneur, vous mettrez trop grant haine par celle voie entre monseigneur et nous. Et se vous tenez vostre propos, je n’oseray retourner en la conté de Fois, car monseigneur m’occirroit et diroit que je l’aroie deceu.

« – Je ne sçay, dist li roys, qui ne vouloit pas remettre l’argent avant, que vous ferez, se vous demourrés ou retournerés, mais je sui chief de cest argent, et a moy en appartient pour vous, mais jamais ne partira de Navarre.”

« La contesse de Fois n’en pot avoir autre chose, si se tint en Navarre et n’osoit retourner. Le conte de Fois, qui veoit le malice du roy de Na­varre, commença sa femme grandement a enhaïr et a [estre] mal content d’ellea, ja n’y eust elle coulpe, que tantost son message fait, elle n’estoit retournee. La dame n’oso[i]tb, qui sentoit son mari cruel la ou il prenoit la chose a desplai­sance. Ceste chose demoura ainsi. Gaston le filz de monseigneur le conte de Fois crut et devint tresbel enfes, et fu mariez a la fille du conte d’Ermignach6, une jeune dame suer au conte qui est a present et a messire Bernart d’Ermignach7. Et par la conjonccion du mariage devoit estre bonne paix entre Fois et Hermignach. Li enfes pouoit avoir environ .xv. ou .xvj. ans8, trop bel escuier estoit, et si pourtraioit de tous membres grandement au pere. Si lui prinst volenté et plai­sance d’aler ou royaume de Navarre veoir sa mere et son oncle, ce fu bien a la male heure pour lui et pour ce païs. Quant il fu venus en Navarre, on lui fist tres bonne chiere, et se tint avecques sa mere un tendisc 9, puis prinst congié, mais ne pot sa mere pour parole ne priere que il lui

  1. Charles II, roi de Navarre, frère de la comtesse de Foix. † 1387.
  2. C’était pour de bonnes raisons que ce roi fut surnommé « le Mauvais » …
  3. Reconnut le roi de France comme son suzerain.
  4. Arnaud-Amanieu d’Albret épousa Marguerite de Bourbon, la plus jeune sœur du duc Louis de Bourbon.
  5. Chef-lieu de la communauté autonome de Navarre (Es­pagne).
  6. Béatrice, fille de Jean II, comte d’Armagnac.
  7. Frère de Jean III, à qui il succédera en 1391. Dans les premières années du prochain siècle, il deviendra un person­nage de triste notoriété dans l’histoire de France.
  8. Comme nous l’avons signalé plus haut, il en avait plutôt dix-huit.
  9. Laps de temps.