221r

[221ra] fesist ne deisist, faire retourner en Fois avecques lui, car la dame li avoit demandé se le conte de Fois son pere l’en avoit enchargé de la ramener. Il disoit bien que au partir il n’en avoit esté nulle nouvelle, et pour ce la dame ne s’y osoit asseurer, mais demoura. Li enfes de Fois s’en vint a Pampelune pour prendre congié au roy de Navarre son oncle. Le roy li fist tres bonne chiere et le tint avec lui plus de dix jours, et lui donna de beaux dons, et a ses gens aussia.

« Le derrain don que le roy de Navarre lui donna, ce fu la mort de l’enfant, je vous diray comment et pourquoy. Quant ce vint sur le point que li enfes deust partir, le roy le traist a part en sa chambre secretement et lui donna une moult belle boursette plaine de pouldre, tele que il ne seroit creature vivant que, se de la pouldre atouchoit ou mengoit, que tantost ne le couvenist mourir sans nul remede.

« “Gaston, dist li roys, beau nepveu, vous ferez ce que je vous diray : vous vëez comment le conte de Fois a – a son tort – en grant haine vostre mere ma suer, et ce me desplaist grandement, et aussi doit il faire a vous. Toutefois, pour les choses reformer en bon point, et que vostre mere feust bien de vostre pere, quant il vendra a point vous prendrés un petit de ceste pouldre et en mettrez sur la viande de vostre pere, et gardez bien que nul ne vous voie ; et sitost comme il en ara mengié, il ne finera jamais ne n’entendra a autre chose, fors que il puisse ravoir sa femme vostre mere avecques lui. Et s’entrameront a tousjours maiz si entierement que jamais ne se vouldront departir l’un de l’autre. Et tout ce devez vous grandement desirierb qu’il adviengne. Et gardez bien que de ce que je [221rb] vous di vous ne vous descouvrez a homme qui soit qui le die a vostre pere, car vous perdriez vostre fait.”

« Li enfes, qui tournoit en voirc tout ce que le roy de Navarre son oncle li disoit, respondi et dist : « Volentiers. » Sur ce point il se parti de Pampe­lune, de son oncle, et s’en retourna a Ortais. Le conte de Fois son pere lui fist bonne chiere, ce fu raison, et lui demanda des nouvelles de Navarre, et quelz dons ne jouyaulx on lui avoit donnez par dela. Et tout les monstrad excepté la boursette ou estoit la pouldre, mais de ce se sot il bien couvrir. Or estoit il d’ordenance en l’ostel de Fois que moult souvent Gaston et Yewain son frere bastart gisoient ensemble en une chambre, et s’entra­moient ainsi que enfans freres font, et se vestoient de cottes et d’abbis ensemble, car ilz estoient aucques d’un grant et d’un aage. Advint que une fois, ainsi que enfans jeuent et s’esbatente en leurs lis, ilz s’entrechangierent leurs cottesf, et tant que la cotte de Gaston ou la pouldre et la bourse estoit ala sur le lit Ieuwain, frere de Gaston1. Ieuwain, qui estoit assez malicieux, senti la pouldre en la bourse, et demanda a Gas­ton son frere :

« “Quel chose est ce cy que vous portez tous les jours a vostre poitrine ?”

« De ceste parole n’ot Gaston point de joie, et dist :

« “Rendez moy ma cotte, Ieuwain, vous n’en avez que faire.”

« Ieuwain li regettag sa cotte, Gaston la vesti. Si fu ce jour trop plus pensif que il n’avoit esté au devant. Si advint dedens trois jours aprés, si comme Dieux voult sauver et garder le conte de Fois, que Gaston se courrouça a son frere Ieuwain pour le jeu de paumeh, et lui donna une joueei. Li enfes s’en courrouça et enfelonna, et entra tout pleurant en la chambre son pere, et le trouva a tele [heure] que il avoit oÿe sa messe2. Quant le conte le vit plorer, si lui demanda :

« “Ieuwain, que vous fault ?

  1. « [Gaston] n’est plus en “enfant” mais un seigneur de 18 ans, marié et capable d’exercer ses responsabilités. Comment croire qu’il puisse encore partager sa chambre avec Yvain et s’amuser avec lui à changer de vêtements et qu’il ait ajouté foi à cette histoire de philtre d’amour proposé par son oncle ! Yvain, légèrement plus âgé, n’agit pas par gaminerie : totale­ment dévoué à la cause de son père dont il est le préféré, il doit être au contraire à l’affût de tout ce qui peut nuire à l’héritier légitime » (P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus : prince des Pyrénées, 1331-1391, 2e édition. Pau, Éd. Deucalion, 1994 ; désormais : Prince des Pyrénées), chap. X : Complot et drame à la cour d’Orthez, 205-214 ; p. 212.
  2. Le détail de cette circonstance renforce le portrait esquissé plus haut, d’un prince en théorie exemplaire.