202v

[202va] avoit de son aliancea aucuns chevaliers d’Angleterre, car pas il ne faisoit ses besoignes sans telz, que messire Simon Burléb1, messire Robert Trivilien2, messire Nicole Brambre3, messire Jehan de Beauchamp4, mes­sire Jehan de Salberi5 et messire Michiel de la Poule.6 Encores y estoient nommezc messire Thomas Trivés7 et messire Guillaume8 [Helmen]d, dont depuis, par ces parties et different qui es­toiente entre le roy et ses oncles et les nobles et communaultezf du paÿs, pluseurs maulx ad­vindrent en Angleterre, si comme je vous recorde­ray avant en l’istoireg.

Neh demoura guaires de temps depuis que le conte de Cantebruges fu issus hors du royaume de Portingal, que le roy Ferrant cheï en langueur et en maladie qui lui dura plus d’un an, et mourut, [et] n’avoit plus d’enfans que la royne d’Espaignei9. Adonc fu enfourmez le roy dam Jehan de Castille que le royaume de Portingal lui estoit escheuz et que il en estoit droit hoir par la succession du roy mort10. Si en ot pluseurs conseilzj, et disoit quant on en parloitk:

« Portingalois sont dure gentl. Point ne les auray se cem n’est par conqueste. »

Quant li Portingalois [virent]n qu’ilz estoiento sans seigneur, si eurent conseil ensemble que ilz envoieroient devers un frere bastart que le roy Ferrant avoit, vaillant homme, sage et hardi durementp, qui s’appelloit Jehanq; mais il estoit reli­gieux (sans) ordenezr, maistre Hospitalier de tout le royaume de Portingal11. Et disoient que ilz avoient trop plus chier que ilz feussent ou gouver­nement de ce vaillant homme, maistre [d’Avis]s12que du roy de Castillet, et que tant qu’a Dieu13 il n’estoit nul bastart puis que il avoit bon courage de bien faireu. Quant cil maistre [d’Avis]v entendi la commune volentéw des .iiij. citez de Portingalx, et que ilz avoient en la cité de Lusebonne et en ces quatre bonnes villes y [202vb] grant affeccion a lui pour couronner a roy, si en fu grandement resjouysz, et escripsi secretement devers ses amis et vint a Lusebonneaa qui est la clef et la principal ville du royaume de Portingal. Les gens de la ville le requeillirent a grant joie et li deman­derent se ilz le couronneroient a roy, et, lui couron­né, se il leur seroit bon et loyalab et tendroit le paÿs en ses franchisesac. Il respondi « Ouil », et que onques ilz n’eurent si bon roy.

Adonc escripsirent ceulz de Lusebonne a ceulz de Conninbres14, au Port de Portingal15 et a ceulz d’Ouread16, – ce sont les clefs du dit royaum­e – que pour le milleur et le commun proufit ilz vouloient couronner a roy [ce] maistre [d’Avis]ae qui estoit sage et vaillantaf et de bon gouvernement, et avoit esté frere du roy Ferrant, et que le paÿs et royaumeag de Portingal ne pouoit longuement demourer sans chiefah, tant pour les Espaignolz que pour les mescreans de Grenade17 et de Bou­gie18, aux quelz ilz marchissoientai.

Ces quatre bonnes villes et li terrien de Portingalaj, excepté aucuns haulx barons et cheva­liers, s’enclinoient a lui et a ceste esleccion, mais li seigneur disoient que il n’appartenoit pas a un bastartak, se il n’estoit trop bien dispensezal, a estre roys couronnezam19. Les bonnes villes di­soient et respondoient que si faisoitan, et que il estoit de nec­cessité, puis que ilz n’avoient autreao, et que il estoit vaillant homme de sens et d’armes. Et faisoient exempleap par le roy dam Henry, qui avoit esté roys couronnez de toute Castille par l’esleccion du paÿsaq et pour le commun proufitar, et encores oultre le roy dam Pietre vivant. L’eslec­cion, voulsissent ou non li noble du royaumeas, demoura a ce

 

  1. Simon Burley, chambellan, confident et conseiller de Richard II, sur lequel il exerça une forte influence. Exécuté en 1388.
  2. Sir Robert Tresilien, juge ; occupa une position importante sous Richard II. Exécuté en 1388.
  3. Nicholas Brembre, ancien maire de Londres. Exécuté en 1388.
  4. Sir John Beauchamp de Holt, exécuté en 1388. Son monu-ment funéraire se trouve dans la cathédrale de Worcester.
  5. Sir John Salisbury, chevalier de la chambre du roi Richard II. Exécuté en 1388.
  6. Michel de la Pole, l’un des principaux conseillers de Richard II ; devint chancelier d’Angleterre et fut nommé comte de Suffolk. Membre d’un groupe entourant le roi qui provoqua une forte réaction politique. Accusé avec d’autres de trahison, il réussit à s’échapper. † en 1389 à Paris.
  7. Sir Thomas Trivet, capitaine anglais ; Froissart l’appelle « un moult vaillant chevalier » ; mena une expédition en Navarre en 1378.
  8. Sir William Elmham, capitaine anglais ; participa à la guerre en Flandres en 1383.
  9. Il n’eut qu’un enfant légitime, Béatrice, née en 1372, qui devait épouser en 1383 Jean 1er, roi de Castille.
  10. João 1er pouvait donc réclamer le Portugal au nom de sa femme.
  11. Avant d’être élu roi, João 1er avait été maître de l’ordre de chevalerie d’Aviz, fondé au XIIe siècle en tant que branche portugaise de l’ordre de Calatrava. Quoique se trouvant à la tête d’un ordre religieux, il n’était pas ordonné prêtre.
  12. Sic. Pour les non-initiés, et sous la plume des copistes de bon nombre des manuscrits des Chroniques, « maistre d’Avis » devient facilement « maistre Denis ». Fils de Pierre 1er et d’Iñes de Castro, João aurait pu devenir roi (qu’il fût bâtard ou non) à la mort de Ferdinand.
  13. C’est-à-dire : au regard de Dieu.
  14. Coïmbra sur le Mondego, prov. Centre (Portugal) où avait lieu le sacre des rois de Portugal.
  15. Porto ou Oporto, près de l’embouchure du Douro, prov. Nord (Portugal).
  16. Évora, prov. Alentejo (Portugal).
  17. Chef-lieu de l’Andalousie (Espagne).
  18. Bougie (Algérie).
  19. Certains avaient peur d’accepter comme roi un homme de naissance illégitime (sujet traité plus en détail un peu plus loin dans notre texte ; nous y reviendrons).