254bisr

[254bisra] dist au partir :

« “Alez vous ent en Honguerie devers le conte de Nazara1, lequel tient terre entre les mon­taignes de Melcabee et de Robee2 par la ou nous voulons que nous et nostre empire passe, et li dictes depar nous que nous li mandons, se il veult demourer ne estre en toute sa terre en paix, que il viengne a obeissance devers nous, si comme il voit que le sire de la Palati et le sire de Sathalie et le sire de Hauteloge ont fait, et nous appareille passage, et se il est contredisant ne rebelles a nous, dictes lui depar nous et lui mons­trez de fait et par exemple, que je mettray autant de testes pour le destruire en son paÿs comme il y a en ce sac de grains de millé.”

« Les ambassadeurs et messagiers de l’Amo­rath Baquin se partirent sur ce point tous confer­mez et advisez quele chose ilz devoient faire, et cheminerent tant par leurs journees que ilz vindrent en Honguerie en la terre du conte de Nazara au descendant des montaignes, et le trouverent en l’un de ses chasteaulx lequel on appelle Arcafourne3. Le conte, comme saige et bien advisié, reçut les ambassadeurs de l’Amorath moult doulcement et leur fist bonne chiere, mais il ot trop grant merveille quant il vit entrer en sa court ce mulet chargié d’un sac plain ne savoit de quoya. Si cuida de commencement que ce feussent be­sans4 d’or ou pierres precieuses que l’Amorath lui envoiast pour lui attraire et convertir, et pour avoir entree de passage parmi sa terre ; ce disoit il a lui meismes que il ne le feroit nullement, ne jamais ne se lairoit corrompre pour nul avoir qu’on lui sceust presenterb. [254bisrb]

« Orc vindrent li message de l’Amorath Baquin devant le conte de Nazara, et distrent ainsi :

« “Sire de Nazarem, entendez nous. Nous somme[s] ci envoiez depar hault roy et redoubté nostre souverain seigneur l’Amorath Baquin, sei­gneur de Turquie et de toutes les appendences. Et vous disons depar lui que il vous mande que vous veniez a obeissance a li sur la fourme et maniere que vous vëez. Vous savez que voz voisins font et ont fait – le sire de la Palate5, le sire de Haute­loge6 et le sire de Sathalie7 – hommage envers lui. Si ouvrez vostre païs a l’encontre de sa venue, se vous voulez demourer en paix, et en ce faisant vous serez grandement en sa grace et en s’amour. Et se vous estes rebelle et desobeissant de non le vouloir faire, nous sommes chargiez de vous dire que nostre seigneur l’Amorath mettra en vostre terre plus de testes d’ommes armez que il n’y a de grains de millé en ce sac.”

« A ceste parole firent ilz ouvrir le sac, et lui monstrerent quel chose il y avoit dedens. Quant le conte de Nazara ot entendu parler les ambassa­deurs de l’Amorath, si fu tantost conseilliez de respondre attrempeementd, et ne se descouvri pas a une foiz son pensé ne son courage, mais dist :

« “Recloez, dist il, le sac. Je voy bien quel chose il y a dedens, et vous ay aussi bien ouy et entendu quel chose l’Amorath me mande, et de­dens trois jours je vous en respondray, car la requeste l’Amorath demande bien a avoir tant de conseil.”

« Ilz respondirent :

« “Vous parlez bien.”

« Sur cel point et sur la fiance d’avoir res­ponse, ilz sejournerent ces trois jours. Or vous diray que le conte de Lazara fist sur les trois jours que il deust respondre. Il se pourvey et fist pour­veoir son chastel de plus de deux mil chiefs

  1. Il s’agit selon toute probabilité du prince serbe Lazar Hrebeljanovic (ca. 1329-1389), le « tsar Lazar », qui trouva la mort à la bataille de Kossovo le 18 juin 1389 (victoire rem­portée par Mourad 1er mais sous la direction de son fils Bajazet, et à la sortie de laquelle celui-là trouva la mort, poignardé, peut-être, par le fils de Lazar, Miloš Kobilić).
  2. Melcabee et (de) Robee : peut-être des montagnes se trouvant au centre de la Serbie ; Robee pourrait être la mon­tagne de Veliki Jastrebac.
  3. Peut-être Kruševac, dont le château fort servait de base à Lazar.
  4. Monnaie d’or de Byzance ayant cours en Occident.
  5. Peut-être Marko Mrnjavcevic (« le prince Marko »), chef serbe, ou bien Konstantin Dragaš, de Serres.
  6. Il s’agirait en principe du seigneur d’Ayasolouk, déjà cité au chapitre 25 (et se trouvant en Turquie !) ; mais le contexte suggère plutôt Kossovo, à l’extérieur de Pristina. S’agirait-il donc du seigneur de Kossovo, Vuk Brancović ?
  7. Encore une confusion déroutante. S’il ne s’agit pas d’Antalya en Turquie, il faudrait penser plutôt au sire de Thessalie.