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[204ra] d’accord, pour quoy il se tenoit plus seurement au siege ; et estoit leur siege si plantureux de tous biens qu’il n’y avoit ville ne marché en toute Castille ou on eust plus plantureusementa ce qu’il besoignoit.

Le roy de Portingal se tenoit bellement en la cité de Lusebonneb avec ses gens, et se tenoient tout aise, car on ne leur pouoit tollir la mer. Si ot conseil que il envoieroit en Angleterre devers le roy et le duc de Lencastre grans messages et feables, et feroit tant que il renouvelleroit les alian­ces qui avoient esté faictes entre le roy d’Angle­terrec et le roy Ferrant son frere, et charge­roit encores ses ambassadeurs de demonstrerd au duc de Lencastre que par mariage il auroit volen­tiers a femme Phelippe1 sa fille et la feroit royne de Portingal, et li jureroit et seelleroit a tousjourse mais bonnes aliancesf, et feroit tant que, se il vouloit venir pardelag atout deux mille ou trois mille combatans et autant d’archiers, que il recou­vreroit le royaume de Castille son heritaige.2 D’aler en Angleterre furent chargiez deux cheva­liers de son hostel, messire Jehan Radagoeh et messire Jehan Teste d’Or3, et un clerc de droit4, arcediacre de Lusebonne, qui s’appelloiti March de la Fugierej.

Si ordonnerent leurs besoignes et un vaissel pour eulx, et le appareillierentk et prouverent de tous poins. Et quant ilz eurent bon vent, ilz en­trerent ens et se partirent du havre de Lusebonne, et siglerentl vers les frontieres d’Angleterrem. D’autre part le roy Jehan de Castille, qui se tenoit a siege devant Lusebonnen, ot conseil de ses hommes que il escripsist en France et en Gas­coigne et mandast [204rb] chevaliers et escuierso, car bien suppo­soient li Espaignol que le roy de Portingalp avoit mandé ou manderoit grant se­cours en Angleterre pour lever le siege. Si ne vouloient pas estre si sourprins que leur puissance ne feust grande assez pour resister aux Anglois et Portingalois. Si com le roy fu conseilliez et enfour­mez, il le fist. Et envoya lettres et messagesq en France a pluseurs chevaliers et escuiersr qui desiroients les armes, et par especial ou païs de Berne, en la conté de Fois, car la avoit grant foison de bons chevaliers et escuiers qui desiroientt les armes, et qui ne se savoient ou emploieru.

Car pour ce temps, quoyque li contes de Fois, leur seigneur, les eust tousv nourris en armes, si avoit il bonnes trieuves entre le conte d’Ermignac et luiw 5. Cilz mandemens de ces deux roys d’Espaigne et de Portingal ne furent pas si tost faizx ne approchiez, et pour ce ney se cessoient pas les armes a faire ailleursz en Auvergne, en Thoulousain, en Roergue et en la terre de Bigorre. Si mettrons en souffrance un petitaa les besoignes de Portingal et parlerons d’autres.

 

§ 5.

Comment le princeps et la princepse vindrent veoir le conte d’Armignac, et du don que la princepse demanda au conte de Foixab.

Entre la conté de Fois et le païs de Berne gist la conté de Bigorre, laquele est toute du royac de France6 et marchist7 au païsad thoulousainae d’une part, et au conte de Comminges8 et de Berne d’autre part. En la conté de Bigorre gist le fort chasteau de Lourde9 qui tousjours s’est tenu angloiz depuis queaf le païs de Bigorre fu renduz au roy d’Engleterre10 et au princeag 11 pour la redemp­cion du roy Jehan de France12 par le traittié de la paix qui fu traittié a Bretigny devant Chartres, et confermee

 

  1. Philippa, fille de Jean, duc de Lancaster, épouse du roi de Portugal, Jean 1er.
  2. Par le droit de sa femme, Constance, fille de Pierre 1er de Castille.
  3. Chevalier allemand, conseiller du roi de Portugal, pour qui il entreprend des missions diplomatiques en Castille et en Angleterre.
  4. Un clerc savant, expérimenté en droit.
  5. Il s’agit de Jean II, comte d’Armagnac. Notons ici les effets de la guerre et des trêves dans la société militaire du temps, beaucoup de chevaliers et d’autres hommes d’armes dépen­dant alors de la guerre pour subsister.
  6. La Bigorre reconnaissait le roi de France comme souverain.
  7. Avec frontière sur le Toulousain.
  8. Le Comminges, région du massif pyrénéen (Haute-Garonne et Ariège).
  9. Lourdes sur le gave de Pau, chef-lieu de canton (Hautes-Pyrénées).
  10. Édouard III.
  11. Édouard de Woodstock, prince de Galles (dit « le Prince Noir »), † 1376. Voir surtout Richard Barber, Edward of Woodstock, Prince of Wales and Aquitaine. A Biography of the Black Prince, The Boydell Press (Woodbridge, Suffolk, 1978).
  12. La rançon (100 000 écus) payée pour mettre en liberté Jean II le Bon, roi de France, fait prisonnier à la bataille de Poitiers (1356). Voir Jean Deviosse, Jean le Bon, Fayard (Paris, 1985), 378-405.