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pourquoy principaulment ilz s’entre
heoient, je le vous diray pour mieulx
venir a la fondacion de ma matiere. An
ciennement avoit eu en la ville du Dan
une guerre mortelle de deux riches
hommes naieurs et de leurs lignai
ges, qui s’appelloient l’un sire Jehan Pier
re
et l’autre sire Jehan Barde. Par
celle guerre d’amis estoient mors d’eulx
XVIII. Gisebrest Mahieu et ses freres
estoient du lignaige de l’un, Jehan Lion
estoit de l’autre. Ces haynes couver
tes estoient ainsi de longtemps nour
ries entre ces deux, quoyqu’ilz parlas
sent, beussent, et mengassent a la foiz
ensemble, et trop plus grant compte
en faisoient le lignage Mahieu que
Jehan Lyon ne faisoit. Gisebrest Ma
hieu
, qui soubtilloit a destruire Jehan
Lion
sans coup ferir, advisa un soubtil
tour, et sejournoit une fois le conte
de Flandres
a Gand et s’en vint a l’un des
plus prouchans chambellans du con
te
et s’acointa de lui et lui dist: "Se monseigneur
de Flandres
vouloit, il aroit un grant
prouffit tous les ans sur les navieurs,
dont il n’a maintenant riens, et ce
prouffit les estrangiers navieurs
paieroient, voire mais que Jehan Lion,
qui doit estre maistre des nayeurs,
s’en voulsist loyaument acquittier." Cil
chambellant dist que il monstreroit
ce au conte, ainsi que il fist. Le conte,
ainsi que plusieurs seigneurs par
nature sont enclin a leur prouffit et
ne regardent mie loyaument a la
fin ou les choses puent venir, fors a
avoir la mise et la chevance, et ce les
deçoit, respondi a son chambellant:
"Faites moy Gisebrest Mahieu venir
et nous orrons quelle chose il veult
dire." Cil le fist venir. Gisebrest parla

au conte et lui remonstra plusieurs rai
sons raisonnables, ce sembloit il au conte.
Pourquoy le conte respondi: "C’est bon que
ainsi soit, et on face venir Jehan Lion."
Jehan Lion fut appellé en la chambre
du conte en la presence de Gisebrest, qui
riens ne savoit de ceste matiere. Quant
le conte lui entama et dist: "Jehan, se vous
vouléz, nous arons grant prouffit a
ceste chose." Jehan, qui estoit loyal en ces
te ordonnance regarda que ce n’estoit
pas une chose raisonnable, et si n’osoit
dire du contraire et respondi ainsi: "Monseigneur,
ce que vous demandéz et que Gisebrest
met avant, je ne le puis pas faire tout
seul car dur sera a l’esvoiturer." "Jehan,"
respondi le conte, qui s’enclinoit a son
prouffit, "se vous vous en vouléz loyaul
ment acquittier, il sera fait." "Monseigneur,"
respondi Jehan, "j’en feray mon plain
pouoir." Ainsi se departi leur parlement.
Gisebrest Mahieu, qui tiroit a mettre
mal Jehan Lion du conte de Flandres,
ne n’entendoit a autre chose, s’en vint
a ses freres tous six et leur dist: "Il est
heure, mais que vous me vueilliéz ai
dier en ceste besoingne ainsi que freres
doivent faire l’un l’autre car c’est pour
vous que je me combas. Je desconfiray
Jehan Lyon sans coup ferir et le met
tray si mal du conte que oncques n’en
fut si bien que il en sera mal, quoyque
je dye ne monstre en ce parlement.
Quant il vous requerra de ce, si le deba
téz, et je me faindray et diray et main
tendray a monseigneur que, se Jehan Lion vou
loit soy loyaument en acquitter, ceste
ordonnance se feroit. Je congnois bien
monseigneur de tant que ançois qu’il n’en vieng
ne a son entente, Jehan Lion perdra tou
te sa grace et lui ostera son office et
me sera donnéz. Et quant je l’aray, vous pb 11 v