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toute sa route. Et y fut deux jours et
au tiers elle s’en partit et se mist en la
voie. Et tant chemina par ses journees
qu’elle s’en vint a Paris. Le roy Char
les son frere
, qui estoit informéz de sa
venue, envoya contre elle des plus
grans de son royaume qui adoncques
estoient deléz lui: monseigneur Robert
d’Artois
, monseigneur de Coucy, monseigneur
de Sully
et le seigneur de Roye et plu
seurs autres, qui honnourablement
la menerent en la cité de Paris et devers
le roy de France. Comment la royne d’An
gleterre
compte au roy Charles son frere la
cause de sa venue ou royaume de
France
.
Quant le roy vit sa
suer
, que avant temps n’a
voit veue et elle deubt entrer
en sa chambre, il vint contre elle et la
prist par la main et la baisa et lui dist:
"Bien viengnéz ma suer et mon beau
nepveu
." Lors les prist tous deux et
les mena avant. La dame, qui
pas n’avoit trop grant joye fors de
ce qu’elle se trouvoit deléz le roy son
frere
, s’estoit ja voulu agenouillier
par trois ou par quatre fois aux
piéz du roy son frere, mais le roy ne
lui souffroit et la tenoit tousjours
par la main droitte, et lui demandoit
moult doulcement de son affaire. Et
la dame lui en respont tressagement,
et tant furent les parolles qu’elle lui
dist: "Monseigneur, ce nous va, moy
et mon filz, asséz petitement. Car le
roy d’Angleterre mon mary m’a prise
en trop grant hayne et si ne sçay pour
quoy, et tout par l’ennortement d’un
chevalier qui s’appelle Hue le Despensier
. Ce
chevalier a tellement attrait a soy mon seigneurmon seigneur a soy
et a sa voulenté que tout ce qu’il veult

dire et faire, il fait. Et ja l’ont comparé
pluseurs haulx barons d’Angleterre
sa mauvaistié, car il en fist en ung
jour prendre et par le commandement
du roy, sans droit et sans cause, et deco
ler jusques a XXII. Et par especial le
bon Thomas de Lenclastre, de quoy,
monseigneur, ce fut grant dommage, car
il estoit preudomme et loyal et plain
de bon conseil. Et n’est nul en Angle
terre
, tant soit noble et de grant affere,
qui l’ose couroucier ne desdire de tout
ce qu’il veult faire. Avecques tout
ce, il me fut dit en grant esperance
d’un homme qui cuide asséz sçavoir des
conseilz et traittié du roy mon mary
et du dit Hue le Despensier, que on avoit
grant envie sur moy et que se je de
mouroie gueres ou païs, le roy, par
mauvaise et faulse information, me
feroit mourir ou languir a honte.
Et si ne l’ay je pas desservi, ne je ne le
vouldroie faire nullement, car oncques
envers lui ne fis chose qui feust a repren
dre. Et quant je ouy ces dures nou
velles et si perilleuses sur moy et sans
raison, je m’avisay pour le mieux que
je partiroie d’Angleterre et vous ven
droie veoir et monstrer feablement,
comme a mon seigneur et a mon beau
frere
, l’avanture et le peril ou j’ay esté.
Aussi le conte de Kain qui la veéz, qui
est frere de mon mary, est en autel parti
de hayne comme je suis, et tout par l’es
mouvement et faulx ennortement de
ce Hue le Despensier. Si m’en suis cy affouie,
comme femme esgaree et desconseillee
devers vous pour avoir conseil et confort
de ces besoingnes. Car se Dieu premiere
ment et vous n’y remediéz, je ne sçay
vers qui traire." pb 4 v