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sont venuz ces gens et ont passee la
riviere?" Si luy respondirent ceulx
qui deléz luy estoient: "Il fault qu’ilz
soyent passéz par bacquéz huy toute
jour et sy n’en avons riens sceu. Car
il n’y a pont ne passaige appareillié
sus le Lis de cy a Courtray." "Que fe
rons nous?" dient aucuns a Pietre, "les
yrons nous combatre?" "Nennil," dist
Pietre, "laissons les venir, demourons
en nostre force et en nostre garde, ilz sont
bas et nous sommes hault sus la chau
cee. Se ilz nous viennent assaillir, nous
avons grant avantaige sur eulx
et se nous descendons ores sur eulx
pour nous combatre, nous nous for
ferons trop grandement. Attendons
que la nuit soit venue toute noire
et toute obscure et puis aurons con
seil comment nous nous chevirons.
Ilz ne sont pas tant de gens qu’ilz
nous doyent planté durer a la ba
taille et sy savons toutes les reffu
ges et ilz n’en scevent nulles."
SHF 2-319 sync Le conseil Pietre du Boys fut te
nuz et creüz, oncques les Flamens
ne se bougierent de leur pas, et se tin
drent tout quoy au pié du pont et tout
contreval la chaucee rengiéz et ordon
néz en bataille et ne sonnoyent mot
et monstroyent par semblant qu’ilz
n’en faysoyent compte et ceulx qui
estoient passéz, venoyent tout le pas
parmy ces maréz coustiant la rivie
re en approuchant Commines. Le con
nestable de France, qui estoit d’autre
part l’iaue, getta ses yeux et vit ses
gens d’armes, bannieres et pennons
ventellans, en une belle petite batail
le et vit comment ilz approuchoient
Commines. Adonc lui commança

le sang tout a fremir de grant hideur
qu’il ot. Car il sentoit grant foyson
de Flamens pardela l’yaue tous enragiéz,
et dist par grant yre: "Ha ! Saint Yves!
Ha! Saint George ! Ha! Nostre Dame ! que voy
je la? Je voy en partie toute la fleur de
nostre armee qui se sont mys en dur
party. Certes je vouldroye estre mors
quant je voy qu’ilz ont fait un si grant
oultraige ! Ha ! messire Loÿs de Sanceur
re, je vous cuidoye plus attrempé et mi
eulx amesuré que vous n’estes ! Comment
avéz vous osé mettre tant de nobles che
valliers et escuiers et si vaillans hom
mes d’armes comme ilz sont la en
telle douleur et espoir entre X ou XII
mille hommes qui sont orgueilleux
et tous advisiéz de leur fait et qui nul
luy n’en prendroyent a mercy ne nous
ne les pouons s’il leur besoingne confor
téz
? Ha ! Rohen ! Ha ! Laval ! Ha ! Rons ! Ha ! Be
aumanoir ! Ha! Longueville ! Ha! Hatefort !
Ha ! Mauny ! Ha ! Malatrait ! Ha ! Conver
sant ! Ha ! telz et telz ! je vous plains quant
sans mon conseil vous vous estes mis
en tel party ! Pourquoy suis je connes
table de France? Car se vous pertéz, j’en
seray du tout encoulpéz et demandéz
et dira on que je vous ay envoyéz en
celle follie !" Le connestable de France
avant ce qu’il eust veü que tant de sy
vaillans gens feussent passéz avoit
deffendu au léz devers luy que nul ne
passast, mais quant il vit le convenant
de ceulx qui estoyent oultre, il dist tout
hault: "Je habandonne le passaige a tout
homme qui passer vouldra et pourra."
A ces mots s’avancierent chevaliers et escu
iers pour trouver voye et engin de pas
ser oultre au pont. Mais il fut tantost
toute nuit. Si leur convint par pure pb 124 v