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un chevalier anglois, le plus grant
capitaine que nous eussions, et s’en ve
noit costoiant la riviere de Loire pour
venir a La Charité. Si fu rencontréz par
l’embusche du seigneur de Rougemont
et du seigneur de Vodenay154 et des gens
l’Arceprestre. Ilz furent plus fors de
lui, si le ruerent jus et fu raençonnéz
a XXXM frans. Il les paia tous comp
tans. De sa prinse et de son dommaige
il ot grant annoy et desplaisance, et
jura que jamais ne rentreroit en son
fort, si les raveroit reconquis. Si
reconqueilli grant foison de compain
gnons et vint a La Charité sur Loire et
pria aux capitaines, a Lamit et a
Corsuelle, au bourc de Pierregort et a
moy qui y estoie alé esbatre, que nous
voulsissions chevaucher avecques lui. Nous
lui demandasmes: "Quel part?" "Par ma
foy," dist il, "nous passerons la riviere
de Loire
au Port Saint Thibaut155 et irons
prendre et escheler la ville et le chastel
de Sancerre
. Je ay voué et juré que
jamais ne retourneray en fort que j’aie,
si aray veü les enfans de Sancerre. Se
nous pouoions avoir la garnison de
Sancerre et les enfans de dedans156, Jehan,
Loÿs et Robert
, nous serions recouvréz
et serions tous seigneurs du païs.
Ainsi venrions trop legierement a nostre
entente, car on ne se donne garde de
nous, et le sejourner ycy ne vous
vault noient." "C’est verité", respondis
mes nous. Tout li eusmes en couvent,
et nous ordonnasmes sur ce point tan
tost et incontinent. Or advint,"
dist le Bascot de Maulion, "que nostre
affaire fu sceu en la garnison de San
cerre
, car pour ce temps il y avoit
un capitaine, vaillant escuier néz de
Bourgoigne des basses marches, qui

s’appelloit Guichart Albiegon, le quel s’aquit
ta moult grandement de garder la ville,
le chastel et la terre de Sancerre
, et les
enfans et seigneurs, car tous trois es
toient lors
chevaliers. Cil Guichart a
voit un frere, moyne de l’abbaie Saint Thi
baut qui siet asséz pres de Sancerre. Si
fu envoiéz cil moine a Albregon a La Cha
rité sur Loire
depar son frere, pour aporter
une raençon d’un pattis que aucunes villes
devoient dessus le paÿs. On ne se donna
pas garde de lui. Il sceut, ne sçay comment
ce fu, toute nostre entente et couvine, et
tous les noms des capitaines des fors
d’environ La Charité et leurs charges, et
aussi a quele heure et ou et comment ilz
devoient passer la riviere au Port Saint
Thibaut. Sur ce point il retourna et en
enfourma son frere. Les enfans de Sancerre,
le conte et ses freres
, se pourveurent con
tre, et au plus tost qu’ilz peurent, et man
derent l’affaire aux chevaliers et escuiers
de Berry et de Bourbonnois et aux capi
taines des garnisons de la entour, et tant
qu’ilz furent bien quatre cens lances de
bonnes gens. Et proposerent une belle
embusche de deux cens lances au dehors
de Sancerre en un boys. Nous nous par
tismes a souleil esconsant de La Charité,
et chevauchasmes tout ordonneement le
bon pas et venismes a Peully; et la dessoubz
au port avions fait venir grant foison
de batiaux pour nous passer, nous et noz
chevaulx, et passasmes tout oultre Loire,
si comme ordonné l’avions, et fusmes tous
oultre environ mienuit, et passoient
noz chevaulx tout bellement. Et pour ce
que il adjournoit, nous ordonnasmes
cent lances des nostres a demourer derriere
pour garder les chevaulx et la navie, et
le demourant nous meusmes le bon pas,
et passasmes tout oultre l’embusche qui pb 226 v