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que vous ne vous pouéz plus tenir. Sy
fault que vous achatéz le paÿs et l’amour
de nous, ou nous rentrerons en l’assault
et vous gaingnerons de force." "Et de quelle
chose", dist le baillif, "vouléz vous que nous
soyons rançonnéz?" "En non Dieu", dist le
mareschal, "de dix mille frans!" "Vous
demandéz trop", dist le baillif, "je vous en
feray avoir deux mille, car la ville
est povre." "Nennil, nennil!" dist le ma
reschal
, "je vous donne de conseiller en
semble loysir, mais pour trois ou
pour quatre mille ne passeréz vous
point." Adonc se departy le baillif de
la et vint en la place et appella tous
les hommes de la ville
et leur dist: "Quelle
chose vouléz vous faire? Se nous nous
faisons plus assaillir, les Anglois
nous conquerront de force, si serons tous
mors et prins. Nous n’y aurons riens.
On nous demande XM frans, j’en ay offert
deux mille. Je sçay bien que c’est trop peu,
ilz ne le feroient jamaiz." Dont res
pondirent les Juyfs: "Baillif, ne laissiéz
mie a marchander a eulx. Car entre
nous, avant que nous soyons plus
assailliz, nous en payerons quatre
mille." "C’est bien", respondi le baillif, "je
traitteray donc encores a eulx." A ces
mots il s’en vint la ou le mareschal
l’attendoit et entra en traittié, et fut
la paix faitte parmy VIM frans. Adonc
furent les portes ouvertes, et entrerent
toutes manieres de gens dedens et
se logierent la ou ilz porent et s’y rafres
chirent deux jours. Et donna la ville
en garnison le mareschal a Yon Filz Wa
rin
qui s’y loga atout deux cens lances
et IIIIC archiers. Et la se tint plus de VIII
moys, mais l’argent de la redempcion
vint au prouffit du duc de Lancastre;

le mareschal en ot mille frans.
SHF 3-108 sync Aprés ce que la ville de Ville Clopéz se fut
rendue au mareschal de l’ost par l’or
donnance que vous avéz ouy, s’en retourna
il a Saint Jaques, et la estoit son principal lo
geys, car le duc le vouloit avoir deléz luy.
A la foiz il chevauchoit sus les frontieres
de Castille et d’Espaigne pour donner cremeur
aux Françoys, mais ce temps les Angloys
tenoient les champs en Gallice, ne nulz ne
se mettoit contre eulx. Car le roy de Castille
estoit conseillié de non chevauchier a ost,
mais a guerroier par garnisons et aussi
d’attendre le secours qui devoit venir de
France. Or fut le duc de Lancastre conseillé
en disant ainsi, que: "Ce seroit bon que vous et le
dit roy de Castille veysséz et parleissiéz de
voz besoingnes. Il vous escript, vous lui es
cripsiéz... Ce n’est pas asséz, car sachiéz que
ces Françoys sont soubtilz et voyent trop
cler en leurs besoingnes, trop plus que nulz
autres gens. Se couvertement ilz faisoient
traittier au roy de Portingal que ces bon
nes villes
ont couronné, le roy de Castille
lequel a encores deléz luy et en son conseil
grant foyson de barons et chevaliers de Portin
gal
si comme nous sommes infourméz, et fe
yssent une paix a luy, feust par mariai
ge, tant que de lui vous n’eussiéz point de con
fort en ce paÿs, ne de tous voz conquestz
nous ne donrions IIII civoz, car les Castellains
sont les plus faulces gens du monde
et les plus couvers484. Se le roy de Castille le
vouloit tenir en paix parmy tant que
toute sa vie il feust roy de Portingal et
aprés luy le royaulme retournast a Cas
tille
, nous faisons doubte, quoy que il vous
ait mandé et promis, il ne vous tournast
le dos. Ainsi seriéz vous dedens ruéz a
terre, avecques ce que vous sçavéz bien l’es
tat et l’ordonnance d’Angleterre et que pb 292 v