Online Froissart
Facsimile mode    Settings    Browse  |  Collate      
pb 298 r

Comment ceulx de Baione en Espaigne
se rendirent au duc de Lancastre et com
ment le mareschal de son ost entra de
dens et en prinst la saisine et possession.
Adonc vint le preudomme devers
le herault et luy dist: "Vous retour
neréz devers voz maistres qui cy vous
ont envoyé et leur diréz depar nous
que nous voulons venir doulcement
et amiablement en l’obeyssance de
monseigneur le duc et de madame
aussi en la fourme et maniere que les
autres villes de Gallice ont fait ou fe
ront." "Or aléz", dist il au herault, "et
faittes bien la besoingne et nous vous
donrons XX moresques." Quant le
herault ouy parler le preudomme, et
prommettre XX flourins, si fut tout
resjouy, et dist: "Ça les XX flourins!", et
tantost lui flurent bailléz, et puis
retourna tous joyeux devers les sei
gneurs, le mareschal et les autres
seigneurs qui lui demanderent quelles
nouvelles: "Que dient ces villains? Ce
feront ilz assaillir?" "Par ma foy, mon
seigneur
", respondi le herault, "Nennil,
ilz n’en ont nulle voulenté, mais m’ont
dit que vous venréz et ilz vous recevront
voulentiers et doulcement, et se veul
lent mettre du tout en l’obbeyssance
de monseigneur le duc de Lancastre
et de madame, ainsi comme les autres
villes de Gallice ont fait." "Or alons
doncques", dist le mareschal, "il nous
vault mieulx dont avoir ce traittié
que l’assault. Au moins ne seront pas
noz gens bleciéz." Adonc s’en vindrent
le mareschal et toute sa route tout le
pas jusques a la ville et descendirent
la a pié, puis vint le mareschal a la
barriere et a la porte sus laquelle avoit
grant assemblee de gens, mais toutes

armeures ne valloient pas dix frans,
et se tenoyent la pour veoir les Angloys.
Et la estoit un preudomme de la ville pour
faire le traittié. Quant le herault le vit, il
dist au mareschal: "Monseigneur, parléz
a ce preudomme qui s’encline contre vous,
car il a la puissance de la ville en sa main."
Adonc se trait le mareschal avant et deman
da tout hault: "Or ça, que vouléz vous dy
re? Vous rendrés vous a monseigneur de
Lancastre
et a madame comme a vostre sei
gneur et dame?" "Ouyl, monseigneur", dist le preu
domme, "nous nous rendrons a vous ou
nom de luy, et mettrons ceste ville en l’obe
yssance sus la fourme et maniere que
les autres villes de Gallice ont fait et feront.
Et se vous et voz ens il plaist a entrer de
dens, vous serés les bienvenuz, voire, par
my voz deniers payans des pourveances,
se nulles en prenéz." Respondy le mares
chal
: "Il souffist. Nous ne voulons que l’obe
yssance et l’amour du paÿs, mais vous
jureréz que se le roy de Castille venoit ou
envoioit ycy, que vous vous tendrés con
tre luy ou ses commis." Tantost respondirent
ilz: "Nous le jurerons voulentiers, et se il
venoit a puissance ou envoyoit, que nous
clorrons contre luy et en serés signiffiéz.
Et se vous estes plus fors de luy, nous de
mourrons a vous. Car vous ne trouveréz
ja en nous point de fraude." "C’est asséz," dist
le mareschal. "Je ne vueil pas mieulx. Avant
qu’il soit un an, la determinacion en sera
faitte. Car la couronne et l’eritaige de Cas
tille et de Sebille
demoura au plus fort.
Et appert en ce paÿs dedens l’entree ou la
fin du moys d’aoust des armes beaucoup
et une aussi grosse journee de bataille que
il ot point en Castille depuis cent ans."
"Bien, monseigneur", dist le preudomme,
"il en aviengne ce que il en pourra advenir,
et le droit voit au droit. Nous en ce paÿspb 298 v