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veoir, car il estoit moult bien congneu
en Londres et en plusieurs lieux en
Angleterre. De sa prinse et de sa venue
fut le duc de Glocestre grandement
resjouy, et le voulst veoir. Quant il fut
en sa presence, si luy demanda "Trivil
lien
, quelle chose este vous venu quer
re en ce paÿs? Que fait monseigneur? Ou se tient
il?" Trivillien, qui vit bien que il estoit
de tous poins recongneu et que nulle
excusance riens ne luy valloit respon
di et dist: "Par ma foy, monseigneur, le roy nostre
sire se tient le plus a Brisco et sus la ri
viere de Saverne
et chace la et s’esbat.
Sy m’a envoyé pardeça pour apren
dre et sçavoir des nouvelles." "En tel es
tat?", dist le duc, "vous n’estes pas venu
en estat de preudomme mais d’une espie.
Se vous voulsissiés avoir sceu des nou
velles, vous deussiéz estre venu en estat
de chevalier et de preudomme." "Monseigneur", dist
Trivillien, "se j’ay mesprins, sy le me par
donnéz. Car tout ce que j’ay fait, on le
m’a fait faire." "Et ou est vostre maistre
le duc d’Irlande
?" Dist Trivillien: "Monseigneur,
il est devers le roy nostre sire." Dont dist le
duc de Glocestre: "Nous sommes infour
méz que il fait un grant amas de gens
d’armes, et le roy pour luy. Quelle part
les veulst il faire traire?" "Monseigneur", respon
di Trivillien, "c’est tout pour aller en
Yrlande." "En Irlande?" dist le duc. "M’aÿst
Dieu, monseigneur, voire." Donc pensa un petit
le duc de Glocestre, et puis dist: "Trivil
lien
, Trivillien, voz besoingnes ne sont
ne bonnes ne belles, et vous avéz fait
grant follie de vous estre embatus
en ce paÿs. Car on ne vous y aime que
un petit, si comme on le vous monstre
ra, vous et les autres de vostre aliance.

Vous avéz fait beaucoup de desplaisirs a mon
frere et a moy, et avéz troublé a vostre pou
oir et forconseillé monseigneur et les nobles au
cuns de ce paÿs et les bonnes villes envers
nous. Si est venu le jour que vous en a
uréz le payement. Car qui bien fait, c’est
rayson que il le treuve. Penséz a voz besoin
gnes, car jamays je ne beuvray ne men
geray tant que vous soyéz en vie." Ceste
parolle esbahy grandement Trivillien, ce ne
fut pas merveilles, car nul n’oit pas vou
lentiers parler de sa fin par celle manie
re que le duc de Glocestre luy bailloit. Si se
voulst excuser par beau langaige, mais
il ne pot, car le duc estoit si dur infour
mé sur lui et sus les autres de la sexte
au duc d’Irlande que excusance n’y valloit
riens. Que vous eslongeroye je ma matie
re? Messire Robert Trivillien fut delivré
au bourreau, et fut mené dehors a Wes
moustier
au gibet du roy et la decolé, et
puis pendu par les aisselles. Ainsi fina
messire Robert Trivillien. SHF 3-193 sync Comment les
nouvelles vindrent au roy du descolle
ment de ce chevalier et comment il demanda
conseil a ses gens sur ce et comment il ordonna le
duc d’Irlande souverain de toutes ses gens d’armes.
Or vindrent les nouvelles hastivement
au roy Richart d’Angleterre et au duc
d’Irlande
qui se tenoient a Brisco que mes
sire Robert Trivillien
estoit mort honteu
sement. Si prist le roy ceste chose en grant
despit et dist et jura que la chose ne de
mourroit pas ainsi et que ses oncles fay
soient mal quant sans nul tiltre de ray
son ilz luy ostoient ses hommes et les chevaliers
qui loyaulment l’avoient servy, et son pere
le prince aussi. Et monstroient que ilz le voulo
yent mettre hors de la couronne d’Angleterre,
et la chose luy touchoit trop pres. A ces pb 358 v