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vous retrayssiéz, vous et voz gens, tout bel
lement en Gallice et leur donnissiéz congié
de eulx laissier refreschir la ou il leur
plairoit le mieulx; et sus les champs
qui retourne, au mars ou a l’avril, nou
veau confort et frefs vous sourdist d’An
gleterre
par l’un de voz freres, et aussi
bonnes pourveances et grosses pour
passer la sayson. On n’a pas apris sitost
une terre et un air ou on ne fut oncques.
De voz gens qui demourront en Gallice
se partiront sus les villes et chasteaulx
qui sont en vostre obeyssance et passeront
le temps au mieulx que ilz pourront."
"Voire", dist le duc, "mais il advenra ou
pourroit advenir ce que je vous diray,
que quant noz annemis verront que
nous serons departiz les uns des autres,
et vous vous serés retrait en Portingal,
et de voz gens aussi il y a en la ville
de Saint Jaques ou a La Caloingne, et
mes gens seront espartis sus le paÿs,
le roy d’Espaigne chevauchera a toute
sa puissance, car il a bien, si comme
je suis infourmé, quatre mille lances
de Françoys et de Bretons, et sy en trouve
ra bien autant ou plus de son paÿs, et
encores vient derriere le duc de Bour
bon qui en admaine bien deux mille
et qui vouldra faire armee sitost comme
il sera venu. Or regardéz et considerer
se, sy grans gens se boutent en Gallice,
qui leur yra audevant? Ainçoys que
vous ayéz toutes voz gens rassembléz
que vous avéz pour le present en vostre
compaignie, et je les miens, ilz nous
auront porté grant contraire." Dont
respondy le roy de Portingal et dist: "Or
tenons donc les champs ou nom de Dieu.
Mes gens sont fors et frefs et en bonne
voulenté d’attendre l’adventure, et je aussi."

A tant finerent leur parlement
le roy de Portingal et le duc de Lancas
tre
, et demourerent sus tel estat que
ilz attendroient la venue du duc de
Bourbon pour sçavoir se il les venroit
point combatre. Car les Angloys et les
Portingallois ne demandoient autre
chose que la bataille, et tousjours a
loit la sayson aval, et le souleil mon
toit et les jours s’eschauffoyent, car
c’estoit environ la Saint Jehan Baptiste
que le souleil est en sa force, et par
especial en ce paÿs d’Espaigne et de Gre
nade et des royaulmes longtains des
marches de septemptrion. Et n’avoir
depuis l’entree d’avril nulle doulceur
descendue du ciel, pluye ne rousee,
mais estoient les herbes toutes arses.
Ces Angloys mengoyent de ses ray
sins a foyson, quant ils en pouoient
avoir, et puis beuvoyent de ses fors
vins de Luscebonne et de Portingal pour
eulx renfreschir; et plus en beuvoient
et plus s’eschauffoyent, car ilz leur
ardoient le foye et le poumon et toutes
les entrailles de dedens, car ils esto
yent tout au contraire de leur natu
re. Angloys sont nourriz de doulces
viandes et de servoises bonnes et
grasses qui tiennent les corps mois
tes, et ilz avoient les vins durs et
chaulx et en beuvoient largement
pour oublier leurs douleurs. Les
nuiz y sont chaudes pour les grans
chaleurs que il fait tout le jour, mais
sus l’aube du jour l’air se reffroyde du
rement, et ce les decepvoit; car ilz
ne pouoient souffrir couverture
sur eulx et s’endormoient tous nuz
en celle challeur et ardeur de vin.
Or venoit le froit du matin qui les pb 368 r