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SHF 3-222 sync Un temps fut, et pas n’y avoit trop
long terme ens es jours que je
dittay et ordonnay ceste hystoire, il y ot
un conte en Guerles qui s’appella Re
gnault
. Pour ce que Guerles n’est pas
un trop riche paÿs, ne si grant comme
est la duchié de Braibant, ce conte Re
gnault de Guerles
vint a sa terre et
seigneurie jeunes homs et de grant
voulenté pour bien despendre et ne
penssoit pas a quelle fin ses besoin
gnes se pourroyent traire, fors que
a sa plaisance accomplir. Et suivoit
joustes, tournoiz, festes et reviaulx,
et longs voyaiges a grant renommee
et a grans fraiz. Et despendoit tous les
ans plus quatre foiz que il n’eust de
revenue, et empruntoit aux Lombars
a tous lez, car il estoit en dons larges
et oultraigeux. Et se endebta tellement
que il ne se pouoit aydier de chose que
il eust, et tant que ses parens en fu
rent grandement courrouciéz et l’en
blasmerent, et par especial un sien on
cle depar sa dame de mere qui estoit
de ceulx d’Ercle et arcevesque de Couloin
gne, et lui dist ainsi en destroit conseil:
"Regnault, beaulx nepveux, vous avéz
tant fait que vous vous trouvéz uns
povres homs, et vostre terre engaigee
de toute pars; et en ce monde on ne fait
compte de povre seigneur. Pensséz
vous que ceulx qui ont eu les grans
dons de vous et les beaulx prouffiz
les vous doient rendre? M’aÿst Dieux,
nennil, mais vous defuiront quant
ilz vous verront en cest estat que vous
n’avéz plus que donner. Ilz se truffe
ront de vous et des folles largesces que
vous avés faittes, ne vous ne trouve
rés nul amy. Ne pensséz point sur moy

qui suis arcevesque de Couloingne que
je doye rompre mon estat pour le vostre
reffaire, ne vous donner le patrimoingne
de l’Eglise. M’aÿst Dieux, nennil, ma con
science ne s’y accorderoit jamaiz, et aus
si le pappe ne les cardinaulx ne le sous
freroyent point. Le conte de Haynault
ne s’est pas ainsi maintenu que vous
avéz fait, qui a donnee Marguerite son
ainsnee fille
de nouvel au roy d’Allemaigne
Loÿs de Baviere
. Encores en a il trois, mais
toutes les mariera bien et haultement.
Se vous vous feussiéz bien porté sans avoir
ainsi engaigié vostre heritaige ne mis voz
chasteaulx ne voz villes hors de voz mains,
vous estiéz bien tailléz de venir a tel mari
aige comme a l’une des filles du conte de
Haynault
, mais ens ou point ou vous es
tes, vous n’y venriéz jamaiz. Vous n’avéz
ville, chastel ne seigneurie dont vous p
eussiéz douer une femme, se vous l’aviéz."
Le conte de Guerles pour ce temps des pa
rolles de son oncle l’arcevesque de Couloin
gne fut tous esbahiz, car il sentoit bien
et congnoissoit que il lui remonstroit ve
rité. Sy lui demanda en cause d’amour
et de lignaige conseil. "Conseil?" respondi
l’arcevesque, "beaulx niéz cest trop tart;
vous vouléz clorre l’estable quant le cheval
est perdu. Je n’y voy en toutes voz besoin
gnes que un tout seul remedde." "Quel?" dist
le conte. "Je le vous diray", dist l’arcevesque.
"Vous devéz a Bertault de Malignes qui
est aujourd’uy renomméz le plus riches
homs d’or et d’argent com saiche pour les
grans faiz et marchandises que il maine
par mer et par terre, car jusques en Da
mas, au Kaire et en Alexandrie ses gallees
et marcheandises vallent cent mille flou
rins; et tient en pleige une partie de vostre
heritaige. Cellui dont je vous parle a une pb 378 v