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et compaignons, je sens et congnois que
je suis bien en grant peril et en l’adven
ture de la mort, et nous avons un long
temps ensemble esté, et tenue bonne
compaignie. Je vous ay esté maistre et
cappitaine loyaulx, a mon pouoir, et ver
roye voulentiers que de mon vivant
vous eussiéz un cappitaine qui loyaul
ment s’acquittast de vous et gardast
ceste forteresce, car je la laisse pour
veue de toutes choses necessaires
qui appartiennent pour un chastel
garder, de vins, de vivres, et d’artillerie,
et de toutes autres choses, au surplus.
Je vous prie que vous me dittes en gene
ral, entre vous, se vous avéz advisié
nul, ne esleu, cappitaine ou cappitaines
qui vous face ou facent mener et
gouverner en la fourme et maniere
que gens adventureux doivent es
tre mené et gouverné, car ma guer
re a tousjours esté telle que au fort
je n’avoie cure a qui. Dont, sus l’ombre
de la guerre et querelle le roy d’Angle
terre je me suis fourméz et oppinion
néz plus que de nulle autre, car je
me suis trouvéz tousjours en terre
de conquest, et la se doient traire et
trouver tousjours compaignons
adventureux qui desirent les armes
et qui se desirent a avancier. En ces
te frontiere ycy a bon paÿs et renda
ble, et y appendent grant foyson de
bons pactis, quoyque a present les
Françoys nous facent gurre et tien
nent siege, mais ce n’est pas a tous
jours durer. Ce siege, ces bastides se
derompront un jour. Or me respon
déz a ce propos dont je vous parle, et
se vous avéz cappitaine esleu entre
vous, trouvé ne advisié." Tous les

compaignons se teurent un petit, et quant
il vit que ilz se taisoient, il les rafreschy
de nouvelles parolles et leur dist: "Je croy
bien, a ce que je vous demande, vous avéz
petit pensé. Moy estant en ce lit, je y ay
pensé pour vous." "Sire", respondirent
ilz, "nous le creons bien, et il nous sera
plus acceptable et aggreable, se de vous
vient que de nous, et vous ne nous dirés,
se il vous plaist." "Ouyl", respondy Gieuffroy
Teste Noire
, "et je le vous diray et nomme
ray." Comment Gieuffroy Teste Noire esleut
cappitaines a ses gens en Mont Ventadour
et de son testament que il fist et puis mou
rut et comment et comment le duc de
Guerles se party de son paÿs pour aler
en Pruse et de l’incidence qu’il lui advint
en la terre du duc de Stuelpe ou il fut pris.
"Veaulx seigneurs", ce dist Gieuffroy
Teste Noire
"je sçay bien que vous
m’avéz tousjours amé et honnouré, ainsi
comme on doit faire son souverain et
cappitaine, et je aroye trop plus chier,
se vous l’accordéz, que vous ayéz cappitaine
qui descende de mon sang que nul au
tre. Veéz cy Alain Roux, mon cousin, et Pie
tre, son frere
, qui sont bons hommes d’ar
mes et de mon sang. Sy vous prie que
Alain, que vous vueilléz retenir a cappi
taine, et luy jurer, en la presence de moy,
foy et obeyssance, amour, service et loy
aulté, et aussi a son frere; mais toutesfoiz
je vueil que la souveraine charge soit
sus Alain." Ilz respondirent: "Sire, voulen
tiers, et vous l’avéz bien esleu et choysi." La
fut de tous les compaignons Alain Roux
sermentéz, et aussi fut Pietre Roux son
frere
. Quant ces choses furent faittes et
passees, Gieuffroy Teste Noire parla en
cores et dist ainsi: "Or bien, seigneurs,
vous avéz obeÿ a mon plaisir. Si vous en pb 445 v