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avoir voz annemis." Adonc dist le duc: "Je
m’en conseilleray." A ces parolles n’estoit
point le conte de Savoye, mais il vint as
séz tost. SHF 2-248 sync De l’anchanteur a qui le conte de
Savoye fist trancher la teste et comment
le Chanoine et ses compaignons pris
trent plusieurs chasteaulx en Espai
gne
. Quant le conte de Savoye fut
venuz en la tente du duc d’Anjou, le
maistre enchanteur estoit partiz. A
donc recorda le duc les parolles du mais
tre et quelles choses il luy offroit. Le con
te de Savoye pensa un petit et puis dist:
"Envoyéz le moy en mon logeys et je le
examineray, c’est le maistre enchan
teur par lequel la royne de Napples
et messire Othés de Bresvich son mary
furent jadiz pris ou chastel de l’Uef, car
il fist la mer si haulte qu’il sembloit qu’el
le montast dessus le chastel. Sy en furent
si esbahiz ceulx qui ou chastel estoient
qu’il leur sembloit qu’ilz deussent estre
tous noyéz. On ne doit point avoir fiance
trop grande en telz gens. Or regardéz
la nature des malandrins de ce paÿs, pour
seullement complaire a vous et avoir
vostre bienfait, il veulst trahir ceulx
a qui il livra une foiz la royne de Nap
ples et son mary a messire Charles
de la Paix." Et le duc d’Anjou dist aprés:
"Je le vous envoyeray." Adonc entrerent
les seigneurs en autres parolles et con
seillerent un temps de leurs besoing
nes et puis s’en retourna le conte en
son logeys. Quant ce vint le jour, a
prés que les seigneurs furent levéz, le
maistre enchanteur vint devers le duc
et l’enclina. Sy tost que le duc le vit, il
dist a un sien escuier: "Va, sy le maine au
conte de Savoye." Le varlet le prinst par
la main et dist: "Maistre, monseigneur

veulst que vous viengéz parler au
conte de Savoye." Il respondi: "Dieu y ait
part !" Adonc s’en vint il en la tente du
conte et le varlet luy dist: "Monseigneur,
veez cy le maistre que monseigneur
vous envoye". Quant le conte le vit,
si en ot grant joye. Sy luy demanda:
"Maistre, dittes vous pour certain que
vous nous feréz avoir le chastel de
l’Uef
a sy bon marchié?" "Par ma foy,"
respondy l’enchanteur, "Monseigneur,
ouyl. Car par oeuvre pareille, je le
fiz jadis avoir a celluy qui est dedens,
messire Charles de la Paix, et la royne
de Napples et sa fille et son mary mes
sire Robert d’Artois et messire Othés de
Bresvich, et je suis l’omme ou monde
maintenant que messire Charles res
oingne le plus." "Par ma foy," dist le conte
de Savoye, "vous dittes bien, et je vueil
que Charles de la Paix saiche qu’il a
grant tort s’il vous craint, car je l’en
asseureray, ne jamaiz vous ne ferés
enchantement pour decepvoir lui
ne autre, ne je ne vueil pas qu’il nous
soit reprouchié ou temps ad venir,
que en si hault fait d’armes que nous
sommes et tant de vaillans hommes,
chevaliers et escuiers assembléz, que nous
ouvrions par enchantement ne que
nous ayons par tel art noz annemis ."
Adonc appella il son varlet et luy dist:
"Prennéz un bourreau et luy faittes
trenchier la teste." Tantost que le con
te ot ditte ceste chose ce fut fait, on lui
trencha, au dehors des logeys, la teste.
Ainsi fina ce maistre enchanteur et
fut payéz de ses loyers. Nous nous
souffrerons a parler du duc d’Anjou
et de ses gens et de leur voyaiges, et
retournerons aux besoingnes de Portinpb 92 r