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coustaiges pour les seigneurs; car on leur vendoit quatre frans, qui ne valloit que ung, et toutesfois ceulx qui la estoient, qui esperoient a passer, ne ressoingnoient ne or, ne argent a despendre, ne a allouer pour faire leurs pourveances et pour estre bien estoffés de toutes choses l’un pour l’autre par maniere de grandeur et d’envie. Et sachiés que, se les grans seigneurs estoient bien payés de leurs gaiges, d’autre part les petis compaignons le comparoient; car on leur devoit ja d’un mois, et si ne le vouloit on payer. Et disoit le tresorier des guerres, et aussi faisoient les clers de la Chambre aux deniers: "Attendés jusques a ceste prochaine septmaine, et vous serés payés et delivrés de tous poins." Ainsi estoient ils de septmaine en septmaine pourmenés, et quant on leur fist payement, si ne fut il que de huit jours, et on leur devoit largement de dix septmaines. Si advint que les aucuns qui ymaginerent ceste ordonnance et la substance du fait et comment on les payoit mal et envis, s’en merencolierent et dirent que le voiage ne tourneroit ja a nul bon effect. Et ainsi, quant ils eurent ung petit d’argent, ils retournerent en leur paiis. Ceulx furent saiges, car les petis compaignons, comme

chevalliers et escuiers qui n’estoient retenus de grans seigneurs, perdoient tout; car les pourveances leur estoient si chieres en Flandres que ils estoient tous ensonniés d’avoir du pain et du vin; et s’ils vouloient vendre leurs gaiges ou leurs chevauls ou leurs armures, ils ne trouvoient ne maille, ne denier, et a les avoir et achatter ils les avoient trouvees moult chieres. Et tant y avoit de pueple a Bruges, a Ardembourg et au Dam et par especial a l’Escluse que les plusieurs ne se sçavoient ou logier, ne retraire. Le conte de Saint Pol, le sire de Coucy, le daulphin d’Auvergne, le sire d’Anthoing et plenté d’autres seigneurs de France, pour estre plus a leur aise, aloient a l’Escluse devers le roy pour savoir quant on partiroit. On leur disoit: "Dedens trois ou quatre jours," ou: "Quant monseigneur de Berry sera venu," ou: "Quant nous aurons vent pour nous." Tousjours y avoit a dire quelque chose, et tousjours aloit le temps avant. Les jours devenoient courts et lais, et les nuits aloinguoient; de quoy moult de seigneurs se contentoient mal, et plus de ce que l’on mettoit si longuement a passer et que les pourveances amendrissoient, que de nulle autre chose qui leur advenist. SHF 3-119 sync En pb 154 r