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la journee pour nous, espoir en seroit monseigneur de Bourbon en grant indignation contre nous et par especial sur les capitaines de France. Et se la fortune estoit contre nous, nous perdrions nos corps et ce roiaulme; car, se nous estions rués jus, il n’y auroit point de recouvrier au fait des Castillains, que tout le roiaulme ne se perdesist pour le roy a present. Et si en serions encoulpés plus que nuls autres: car on diroit que nous aurions fait faire la bataille et que nous ne savons donner jamais nul bon conseil. Encoires oultre que savons nous se tout ce paiis est a ung, ou se ils ont mandé couvertement le duc de Lancastre et sa femme qui se tient heretiere de Castille (car elle fut fille ou roy dam Pietre, tous ceulx du monde le pevent bien savoir); Et se ils veoient le duc et les Anglois sur les champs, qui demandent la couronne de Castille et dient qu’ils ont juste cause (car le roy Jehan fut fils du roy Henry, bastard), ils pourroient tourner a la fin tout ainsi qu’il firent a la mortelle bataille de Nazres, et nous sans remede demourrions sur les champs mors ou prins, et par ainsi il y a doubles perils tant pour ce royaulme comme pour nous. Ce sont folles gens et oultrageux qui au roy Jehan

conseillent la bataille." "Et pourquoy dont, n’en ont parlé ceulx qui sont tenus d’en parler, messire Guillemme de Lignach et messire Gaultier de Passach?" "Pour tant", respondirent les autres, "que ils veulent savoir l’oppinion de tous; car il ne puet estre que bien ne leur ait esté dit au partir de France par le conseil du roy et du duc de Bourbon quelle chose ils ont a faire, eulx venus par deça, et par raison nous le devrions savoir demain." Si furent en plusieurs estrifs aucuns chevalliers de France ce jour et ce soir, et autretant bien d’autre part estoient les Espaignols; et ne conseilloient pas ceulx qui amoient le roy a combatre pour plusieurs raisons; car, se il se combatoit et la journee estoit contre luy, sans l’ecouvrier il perdoit son roiaulme, et le roy aussi tenoit bien ce propos et ressoingnoit les fortunes et ne sçavoit pas, ne savoir ne pouoit tous les courages de ses hommes, ne lesquels l’amoient, ne lesquels non. Si demoura toute la besoingne ainsi jusques en l’endemain que tous retournerent ou palais du roy; puis entrerent en parlement. En ce parlement eut maint propos et mainte parole arguee, ditte et retournee; car chascun a son pouoir vouloit le roy Jehan loyaulment conseillier. Et bien pb 194 v