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le tacon le craint et ne luy oseroit faire guerre; et a certaines villes et certains pors en Tartarie, qui rendent a l’Amorath Baquin grant treu tous les ans, et aussi ils sont d’une loy et ne veulent point destruire leur loy. Et la chose dont il est et a esté moult de fois esmerveillié, c’est de ce que les chrestiens guerroient et destruisent ainsi l’un l’autre, et dient entre eulx que ce n’est pas chose deue, ne raisonnable a destruire gens d’une loy et d’une foy l’un l’autre; et pour tant se est il mis en grant voulenté plusieurs fois pour venir a grosse puissance en la chrestienté et tout conquerir devant luy. Et mieulx me vaulsist assés que il m’eust acqueillié et conquis par guerre, aussi feist il a tout mon paiis, que le tacon de Tartarie." On demanda au roy d’Armenie pour quoy il luy vaulsist mieulx, et il respondi ainsi: ¶ "L’Amorath Baquin est ung sires de noble condition, et, se il estoit plus jeune trente ans que il n’est, il seroit taillié de faire plenté de moult grans conquestes la ou il se vouldroit traire; car, quant il a conquis ung paiis, ou une ville ou une seignourie, il n’en demande que l’ommaige; il laisse ceulx en leur creance, ne oncques ne bouta (ne ne fera jamais) homme

hors de son heritaige. Il n’en demande fors que a avoir la souveraine domination, pourquoy je dis que, s’il eust conquis mon roiaulme d’Armenie, si comme les Tartres ont fait, il me eust tenu et mon roiaulme en paix et en nostre foy et en nostre loy parmy la recongnoissance que je luy eusse fait de le tenir a seigneur souverain, si comme aucuns hauls barons qui marchissent a luy, qui sont Grecs et chrestiens, qui l’ont prins a souverain seigneur pour euls oster hors de la doubte du souldan et du tacon de Tartarie." "Et qui sont ces seigneurs?" fut il demandé au roy d’Armenie. "Je le vous diray", dist il: "Premierement le sire de Saptalye y est, et puis le grant seigneur de la Palice, et tiercement le sire de Haulte Loge. Ces trois seigneurs et leurs terres, parmy le treu que ils luy rendent tous les ans, sont tenus en paix, et n’est Turc, ne Tartre qui mal leur face." Adont fut il demandé au roy d’Armenie se son roiaulme estoit si nettement perdu que l’on n’y peust avoir nulle recouvrance: "Oyl vraiement," dist il; "il ne fait pas a recouvrer, se une grosse puissance de chrestiens ne vient par dela, qui soient plus fors que les Turs, ne les Tartres. Et plus vendra avant, et plus conquerront sur Grece, si comme je vous ay dit. pb 85 r