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on qui es si bon messagier?" "On m’appelle Orthon." "Orthon," dist le chevalier, "le
service d’un clerc ne te vault riens. Il te donra et fera trop de peine se tu le
veulx croire. Je te prie, laisse le en paix et me sers. Je t’en sçauray mout bon
gré." Orthon fut tantost conseillé du respondre, car il s’enamoura du
chevalier et dist: "Le vouléz vous?" "Ouil," dist le chevalier, "mais que tu ne faces mal
a personne de ceans." "Nennil", dist Orton, "je n’ay puissance nulle de te faire autre
mal que de te resveiller et destourber de dormir toy, ou autrui." "Fais ce que je te dys,"
dist le chevalier, "nous serons bien d’accord, et si laisse ce clerc meschant car il n’y a
riens de bien en lui fors que peine pour toy, et si me sers!" "Et puisque tu le veulx,
" dist Horton, "et je le vueil." Lors s’enamoura tellement cellui Horton du seigneur
de Courasse qu’il le venoit veoir bien souvent de nuit, et quant il le trouvoit
dormant il lui hochoit son oreiller ou il frapoit grans cops a l’uis et aux fenes
tres de sa chambre. Et le chevalier, quant il estoit esveilliéz, lui disoit: "Horton,
laisse moy dormir!" "Non feray," disoit Horton, "si t’auray dit des nouvelles." La
avoit la femme du chevalier si grant paour que tous les cheveulx lui herissoient,
et se mussoit en sa couverture. La lui demandoit le chevalier: "Et quelz nouvelles
m’aportes tu, ne de quel paÿs viens tu?" disoit Horton: "Je viens d’Angleterre" ou
"de Hongrye" ou d’un autre lieu, et disoit: "Je m’en partis hier, et telles choses et telles
y sont advenues." Si savoit ainsi le seigneur de Corasse par Horton tout ce qui ad
venoit par le monde, et maintint celle erreur cinq ans, et ne s’en peut taire, mais
s’en descouvrit au conte de Foix, voire, par une maniere que je vous diray. Le
premier an le sire de Corasse vint devers le conte de Foix a Ortais ou ailleurs en lui
disant en lui disant
: "Monseigneur, telle chose est advenue en Angleterre" ou "en Escosse" ou "Alemaigne" en autres paÿs, ... Et le conte de Foix, qui depuis trou
voit tout ce veritable, avoit grant merveille dont telle chose lui venoit ne comment
il le pouoit savoir, et une foiz tant le pressa et enquist que le sire de Corasse
lui dist comment et par qui telz nouvelles lui venoient et par quelle maniere
tot ce lui estoit advenu. Quant le conte de Foix en sceut la verité, il en eut
grant joye, et lui dist: "Sire de Corasse, tenéz le en amour. Je vouldroie bien avoir
ung tel messager; il ne vous couste riens, et si savéz veritablement tout ce
qui advient par le monde." Le chevalier respondit: "Monseigneur, si feray je." SHF 3-47 sync Ainsi
estoit le seigneur de Corasse servy de Horthon, par long temps. Je ne sçay pas se cellui
Horthon avoit plus d’un maistre, mais toutes les sepmaines deux ou trois foiz il
venoit visiter le seigneur de Corasse, et lui disoit les nouvelles qui estoient adve
nues es paÿs ou il avoit conversé et le seigneur de Corasse en escripvoit au con
te de Foix, qui en avoit moult grant joye, car c’estoit le sire de ce monde qui plus
voulentiers oioit nouvelles d’estranges paÿs. ¶ Une foiz estoit le seigneur de Co
rasse avecques le conte de Foix, et gengloient entr’eulx deux ensemble de Horthon,
et au propos de la a matiere le conte de Foix lui demanda: "Sire de Corasse, avéz vous
point veü encores vostre messager?" "Par ma foy, monseigneur, nennil, ne point
ne l’en pressé." "c’est grant merveille!" dist le conte " Et s’il me feust autant familler
qu’il est a vous, je lui eusse prié qu’il se feust demonstré a moy, et vous prie que
vous en mectéz en peine, si me sauréz a dire de quelle forme il est, ne de quelle pb 40 r