pb 40 rfaçon vous m’avéz dit qu’il
parle aussi bien le gascon, comme moy ou vous."
"Par ma foy," dist le sire
de Corasse, "c’est verité; il parle aussi bel et aussi bien com
me vous ou comme
moy, et par ma foy je me metteray en peine de le veoir,
puisque vous le me conseilléz."
Advint que le seigneur de Corasse, comme les autres
nuys estoit en
son lit decoste sa femme, laquelle estoit ja touts accoustumet
de ouÿr
Orthon, et n’en avoit ja plus de paour. Lors vint
Orthon et tire l’o
reiller du seigneur de Corasse qui fort dormoit. Le seigneur de Corasse
s’esveilla
et demanda: "Qui est ce la?" Respond
Orthon: "Ce
suis je." Il lui demanda: "Et dou viens
tu?" "Je viens de
Prage en Boesme." "Combien?" dist il. "Y a bien d’icy LX journees",
dist
Orthon. "Et en es tu si tost venu!"
"M’aist dieux, oÿl, je vois aussi tost comme
le vent ou plus tost." "Et as tu des
esles?" "Nennil!" dist il. "Comment donques peuz tu voler si tost?"
Respondit
Horthon: "Vous n’en avéz que faire de le savoir."
"Non," dist il, "je te verroie trop voulentiers pour veoir de quelle forme tu es et de
quelle façon." Respondit
Horthon: "Vous n’avéz que faire de le savoir,
suffise vous quant vous m’oiéz et je vous rapporte certaines nouvelles."
"Par
Dieu," dist le sire de Corasse, "je t’aymeroye mieulx se je t’avoie veü. "
Dit
Horthon: "Et puisque vous avéz desir de moy veoir. La premiere chose que vous verréz et rencontreréz demain au matin quant vous sauldréz de
l’ostel ou de votre
lit, ce seray je." "Il souffist", dist le sire de
Corasse. "Or va, je te donne congé pour
ceste nuit." Quant ce vint
au lendemain le sire de Corasse se leva. La dame avoit
telle paour
qu’elle fist la malade, et dist que point ne se lieveroit pour ce jour,
et le sire vouloit qu’elle se levast: "Sire," dist elle, "je verroie
Orthon et je ne le
vueil point veoir, se Dieu plaist, ne encontrer." Lors
dist le seigneur de Corasse:
"Je le vueil bien veoir!" Il sault tout
bellement de son lit et s’assist sur le chalit,
et cuidoit bien veoir en propre
forme
Horton, mais il ne vit riens ne quelque
chose par quoy il peust dire:
"Véz cy
Horton". Ce jour passa et la nuit vint.
Quant le sire de Corasse fut en son lit couché,
Horthon vint et
commença
a parler comme il avoit accoustumé. "Va!" dist le sire de Corasse a
Horton. "Tu
ne es q’un menteur. Tu te devoies si bien
monstrer a moy et tu n’en as riens
fait." "Non," dist il, "si ay." "Non as!" "Et ne veïstes vous riens,"
dist
Horton, "quant vous
saillistes de vostre lit, aucune chose?"
Et le sire de Corasse pensa un petit, et puis
s’advisa. "Ouyl", dist il, "en seant sur mon lit et pensant a toy je vy deux lons festus
sur le pavement qui tournoient et jouoient ensemble." "Et
c’estoit je", dist
Horton.
"En ceste forme la m’estoie je
mis." Dist le sire de Corasse: "Il ne me suffist pas.
Je te prie que tu te
mettes en autre fourme, telle que je te puisse veoir et con
gnoistre."
Horton respondit: "Vous feréz tant que vous me perdréz et que je me ennu
yray de vous, car vous me requeréz trop avant" Dist le sire de Corasse: "Non feras,
tu ne t’en iras pas
d’avecques moy. Se je t’avoie veü une fois,je ne te vouldroie
plus veoir." "Or", dist
Horton, "vous me verréz
demain, et vous prenéz garde que
la premiere chose que
vous verréz quant vous seréz yssu hors de vostre chambre,
ce seray je." "Il suffist", dist le sire de Corasse. "Or t’en
va, je te donne bon congié, car
je vueil dormir."
Horton se parti. Quant ce vint le lendemain, a heure de
tierce que le sire de
Corasse fut levéz et apresté il yssi hors de sa chambre et
vint en une place qui regarde en my la court du chastel. Il getta ses yeulx,
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