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de l’eglise de sa ville a l’encontre d’un
clercq de Castelongne, lequel clercq
estoit grandement bien fondé en cler
gie et clamoit a avoir grant droit a
ches dismes de Corasse qui bien val
loyent de revenue cent flourins par
an. Et le droit qu’il y avoit, il le monst
ra et prouva. Car par sentence difini
tive pape Urbain Ve en concitore
general en determina et condempna
le chevallier et juga pour le clercq en son droit.
Le clercq leva le lettre de la sentence,
si prinst possession et chevaucha tant
pour par ses journees qu’il vint en
Biherne et monstra ses lettres. Et se
fist mettre par la vertu des bulles
du pape en possession de che dimage.
Le sire de Corasse en eut grant indigna
cion et fut moult courouchiés sur
le clercq. Sy vint a luy et luy dist:
"Maistre Piere," ou "mettre Martin," ainsy
comme on l’appelloit, "pensés vous que
pour voz lettres je doye perdre mon
heritaige? Je ne vous sçay point tant
hardi que vous en levéz ne prenéz ja
chose qui soit mienne. Car se vous le
faittes, vous y meteréz la vye. Mais
allés inpetrer ailleurs voz benefice.
Car de mon heritaige vous n’averés
riens et une foix pour touttes les foix
le vous deffens." Le clercq doubta le
chevallier car il estoit cruel et n’osa
perseverer. Sy se cessa et se advisa
qu’il retourneroit en Avignon sy comme
il fist, mais quand il se deut partir
il vint en la presence du chevallier, seigneur
de Corasse, et luy dist: "Sire, par
vostre forche non de droit vous me
ostéz et tollés les drois de mon eglise,
dont en conscience vous meffaites
tresgrandement. Je ne suis pas si fort
en che paÿs comme vous estes, mais
sachiéz qu’au plus tost que je pouray,
je vous envoyeray tel campyon que
vous doubteréz plus que vous ne
faittes moy." Le sire de Corasse ne
fist compte de ses menaches. Sy luy
dist: "Vas a Dieu! Vas, fait che que tu
pues! Je te doubte plus mort que vif.
Ja pour tes parolles je ne perderay
mon heritaige et che qu’a moy appartient."
Ainsi se parti che clerc du sei
gneur de Corasse et s’en alla je
ne sçay quel part en Castelongne ou
en Avignon. Et ne mist pas en ou

bli ce qu’au partir avoit dit au seigneurs
de Corasse. Car quant le chevallier y pensoit le
mains, enviro III moix apprés vinrent
en son hostel de Corasse, la ou il se dormoit
en son lit dalléz sa femme, messagiers invi
sibles qui commenchierent a tresbuchier et
a tempester tout che qu’ilz trouverent par
my le chastel par telle maniere qu’il sem
bloit qu’ilz deussent tout abattre. Et feroient
les cops sy grans a l’uis de la chambre du
seigneur que la damme, qui lés lui gisoit,
en estoit moult effraee. Le chevallier ooit
bien tout che mais il ne voulloit sonner
mot car il ne voulloit pas monstrer cou
rage d’homme esbahi. Et aussy il estoit hardi
asséz pour attendre toutes adventures.
Ches tempestemens et effrois faix en plu
seurs lieux parmy le chastel dura
une longue espace et puis se chessa. Quant
che vint a l’endemain, touttes les maisnye
de l’ostel s’assamblerent et vinrent a leur
seigneur a l’eure qu’il fut descouchiés. Et
luy demanderent en disant: "Monsseur,
avéz vous point oÿ che que nous avons
a nuit oÿ?" Le seigneur de Corasse se faigny
et dist: "Nenil, quelle chose avéz vous oÿ?"
Adont luy recorderent ilz et luy dirent
comment on avoit tempesté aval son chastel
et retourné et cassé toutte la vaisselle de
sa cuisine. Il lors commencha il a rire et
dist qu’il l’avoye songyé et que che n’a
voit esté que vent. "En non Dieu," dist la
damme, "je l’ay bien oÿ!" Quant che vint
l’autre nuit apprés ensievant encoire
revindrent ches tempesteurs mener plus
grant noise que devant et ferir les cops
moult grans a l’uis et aux fenestres de
la chambre du chevallier. Le chevallier sally
sus enmy son lit et ne se polt abtenir qu’il
ne demandast: "Qui est che la quy ainsy
hurte a ma chambre a cheste heure?" Tan
tost luy fut respondu: "Che suis je!" Le chevallier
demanda: "Qui t’envoye chy?" "Il m’y envoye",
dist chilz, "le clercq de Castelongne a cuy tu
fais grant tord. Car tu luis tolz les drois
de son heritaige, sy ne te lairay en paix
tant que tu luy averas fait bon compte
et qu’il soit comptent." Dist le chevallier: "Comment
t’appelle on qui es si bon messagier?" "On
m’apelle Horton", dist celluy quy parloit
a luy. "Horton," dist le chevallier, "le service
d’un clercq ne vault riens. Il te fera trop
de paine se tu le voels croire. Je te prye, pb 42 v