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trop dure chose pour nous se nous consentions
ce que vous dictes. Nous sommes ceans un
petit de chevaliers et d’escuiers qui loyaument
a nostre pouoir avons servi nostre sire le roy de
France
, si comme vous feriés le vostre en sembla
ble cas, et en avons enduré mainte paine
et mainte mesaise. Mais ainçois en soufre
rions telle mesaise que onques gens n’en
durerent la pareille, que nous consentissions
que le plus petit garçon ou vallet de la ville
eust autre mal que le plus grant de nous.
Mais nous vous prions que par vostre humilité
vous vueilliés aler devers le roy d’Engleterre et
lui prier qu’il ait pitié de nous, si feréz
courtoisie. Car nous esperons en lui tant
de gentillesce qu’il ara mercy de nous." "Par
ma foy," respondy messire Gautier de Mauni,
"messire Jehan, je le feray voulentiers. Et
vouldroie se Dieux me vueille aidier qu’il
m’en voulsist croire mais vous en vaudriéz
tous mieux." Lors s’en departirent le sire de
Mauny
et le sire de Basset et laissierent
messire Jehan de Vianne apuiant aux
murs car tantost devoient retourner.
Si vindrent au roy d’Engleterre, qui les attendoit
a l’entree de son hostel. Deléz lui estoient le
conte d’Erbi, le conte de Norhantoine, le
conte d’Arondel et pluseurs barons d’Engleterre. Les
II seigneurs enclinerent le roy puis
alerent devers lui. Le sire de Mauny, qui
sage estoit en parler, dist : "Monseigneur, nous
venons de Calais et avons trouvé le
cappitaine messire Jehan de Vianne, qui a
longuement parlé a nous et me semble
que il et ses compaignons et la communau
té de Calais sont en grant voulenté de
vous rendre la ville et le chastel de Calais
et tout ce qui est dedens, mais que leurs
corps singulierement ilz en peussent hors
mettre." Dont respondi le roy : "Messire Gautier,
vous savéz la greigneur partie de nostre
entente en ce cas. Quelle chose en avéz vous
respondu?" Lors lui conta messire Gautier
les paroles qu’il eut dittes au cappitaine
et la responce d’icellui. Et dont le roy
dist : "Messire Gautier, je n’ay mie voulenté
que j’en face autre chose." Et messire Gautier
dist : "Monseigneur, vous pourriés bien avoir tort

car vous nous donnéz mauvais exemple.
Se vous nous vouliés envoier en aucunes
de voz forteresces, nous n’irions mie si vou
lentiers. Se vous faites ainsi ces gens mettre
a mort car ainsi feroit on de nous en sem
blable cas." Cest exemple amolia grandement
le courage du roy d’Engleterre car le plus des
barons qui la estoient, l’aidierent a sous
tenir. Si dist le roy : "Seigneurs, je ne vueil
mie estre tout seul contre vous tous. Messire
Gautier
, vous en yréz a ceulx de Calais et
diréz au cappitaine que la plus grant
grace qu’il pourroit trouver en moy, c’est
qu’ilz se partent de la ville de Calais VI des
plus notables bourgois en purs les chiefs
et tous deschaus, les hars ou col, les clefs
de la ville et du chastel en leurs mains et
de ceulx, je feray ma voulenté et le demou
rant je prendray a mercy."
SHF 1-312 sync A ces paroles se parti du roy le gentil
sire de Mauny
et retourna jusque
a Calais, la ou messire Jehan de Vianne l’at
tendoit. Si lui recorda toutes les parolles
devant dictes. Le cappitaine dist : "Je vous
prie que vous vueilliés cy tant demourer
que j’ay remoustre tout cest affaire a la
communauté de la ville. Car ilz m’ont cy
envoié et a eulx en tient, ce m’est avis,
du respondre." Et quant messire Gautier
de Mauny
lui eut accordé, il descendy
des creniaux et vint ou marchié de Calais
et fist sonner la cloche. Au son delaquelle
hommes et femmes s’assemblerent en la halle.
La leur remoustra ycellui cappitaine les
paroles cy dessus recitees et leur dist bien
que autrement ne pouoit estre, si eussent
sur ce adviz et brieve responce. Lors tous
commencierent a crier et plourer amerement
et n’eurent en l’eure pouoir de respondre
ne de parler. Meismement le cappitaine en
avoit telle pitié qu’il en lermoioit moult
tendrement une espace. Adont se leva en
piés le plus riche bourgois de la ville qui
s’appelloit sire Eustace de Saint Pierre
. Si
dist devant tous ainsi : "Seigneurs grans
et petiz, grant meschief seroit de laissier
mourir un tel peuple qui cy est par famine
ou autrement quant on y puet trouver pb 114 v