Online Froissart
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vous vous meffaistes tresgrandement. Je ne suis pas en ce païs
si fort que vous estes. Mais saichéz que au plus toust que je
pourray je vous envoieray tel champion que vous doubteréz
plus que vous ne faictes moy." Le sire de Corasse qui ne fist
compte de ses menaces lui dist: "Va a Dieu! Va, faiz ce que tu peuz!
Je te doubte plus mort que vif. Ja pour tes parolles je ne perdray
mon heritaige." Ainsi se partit le clerc du seigneur de Corasse et s’en
retourna je ne sçay quelle part en Casteloigne ou en Avignon
et ne mist pas en oubly ce qu’il avoit dit au partir au seigneur de Corasse.
Car quant le chevalier y pensoit le moins, environ trois mois aprés,
en son chastel de Corasse la ou il dormoit en son lit deléz sa femme
vinrent messagiers invisibles qui commencerent a tresbucher
et a tempester tout ce qu’ilz trouverent parmi le chastel de telle
maniere que il sembloit qu’ilz deussent tout abatre et frappoient
les copz si grans a l’uys de la chambre du seigneur que la dame, qui y
gisoit, en estoit toute effraiee. Le chevalier oyoit bien tout ce mais
il ne vouloit sonner mot car il ne vouloit pas monstrer cou
rage de homme esbahy et aussi il estoit hardy asséz pour
actendre toutes adventures. Ces tempestes et effroiz faiz en
plusieurs lieux parmy le chastel durerent une longue espace
et puis ce cesserent. Quant ce vint a l’endemain toutes les
maignees de l’ostel s’assemblerent et vinrent au seigneur a
l’eure que il fut descouchie et lui demanderent: "Monseigneur, n’avéz
vous point oÿ ce que nous avons en nuyt oÿ?" Le sire de Corasse
se faignit et dist: "Non, quelle chose avéz vous oÿe?" Adont
lui recorderent ilz comment on avoit tempesté aval son chastel
et retourné et quassé toute la vaisselle de la cuisine. Il com
mença a rire et dist que ilz l’avoient songié et que ce n’avoit
esté que vent. "En nom Dieu," dist la dame, "je l’ay bien ouy!"
Quant ce vint l’autre nuyt aprés ensuivant encores revindrent
ces tempesteurs mener plus grant noise que devant et
frapper les copz moult grans a l’uis et aux fenestres de la
chambre du chevallier. Le chevallier saillit sus enmy son
lit et ne se peut ne voult abstenir que il ne demandast: "Qui
est la qui ainsi hurte a ma chambre a ceste heure?" Tantost
luy fut respondu: "Ce suys je!" Le chevallier dist: "Qui cy t’envoie?"
"Il m’y envoye le clerc de Casteloigne a qui tu faiz grant tort
car tu luy cloz les droiz de son heritaige. Si ne te lairay
en paix tant que tu luy auras fait bon compte et qu’il soit
contant." Dist li chevalliers: "Et comment t’appell’on qui es
si bon messagier?" "On m’appelle Horton." "Horton," dist le chevalier, pb 63 v