trop p
lus que nu
l de
ses freres. Ce
Gillebert avoit grant hayne et envie
sur
Jehan Lion couvertement pour
ce qu’il le veoit qu’il estoit si bien
du
conte de Flandres. Et pensoit nuit
et jour comment il l’en pourroit
oster et le priver de sa grace. Et
plusieurs il eut
pensee que il le
feroit occire par
ses freres, mais
bonnement il n’osoit pour la
doubtance du
conte. Mais tant
se soutilla, visa
et ymagina qu’il
trouva le chemin. Et la cause pour
quoy principalment ilz
s’entrehai
roient, je le vous diray pour venir
a la fondacion de ma matiere. An
ciennement
avoit eu en la
ville
du Dam une guerre
morte de deux
riches hommes
navieurs et de
leur lignaige, dont l’un s’appelloit
sires Jehan Pierre et
l’autre
sires
Jehan Bardoul. De celle
mauvaise d’amis
estoiens mors eulx dix et
huit.
Ghillebert Mahieu estoit
du lignaige de l’un, aussi estoient
ses freres.
Et
Jehan Lion estoit
du lignaige de l’autre. Ces haines
couvertes
estoient ainsi de long
temps nourries entre ces deux,
quoyqu’ilz
parlassent, beussent
ou mengassent aucune foiz
ensemble, et trop plus compte
en
faisoyent les
Mahieus que
Jehan Lion n’en faisist. Ce
Gillebert
Mahieu, qui pensoit a destruire
Jehan Lion
sans coup ferir, si s’en
merencolia en lui meismes et
s’avisa d’un subtil tour. Et sejour
noit une foiz le
conte de Flandres en la
bonne ville de Gand. Si
s’en
vint
se Gillebert a l’un des plus
prouchains chambellains du
conte et bien
acointé de lui. Et lui dist
ainsi: "Se
monseigneur de Flandres vou
loit, il
aroit un grant prouffit
tous les ans sur les navieurs
de son
bon païs de Flandres, dont
il n’a maintenant riens. Et ce
prouffit les estrangiers navieurs
le payeroient, voires mais quant
Jehan Lion, qui est doien
et maistre
des navieurs, s’en voulsist loyau
ment acquiter." Ce chambellain
dist a Gillebert qu’il remoustre
roit ce moult volentiers au
conte,
ainsi qu’il fist. Le
conte, ainsi
que par nature aucuns seigneurs
sont
enclins a leur prouffit et
ne regardoient mie justement
ne loyaument a la fin ou les
choses peuent venir, fors a avoir
la mise et la chevance, et ce les
deçoit, respondit a son
varlet de
chambre: "Faites moy venir Gillebert."
Quant il
fut la venu, il parla
et remoustra au
conte plusieurs
raisons raisonnables, si
comme
il sembla il au
conte, par quoy
respondit le
conte: "Il
est bon que
ainsi soit, et que on face venir
Jehan Lion." Lequel
fut tantost
mandé et vint en la presence du
conte et de Gillebert, qui riens ne
sçavoit de ceste matiere. Quant
le
conte la lui entama
et lui deist:
"
Jehan Lion, se vous vouléz, nous
arons grant prouffit
a ceste chose."
Ci Jehan Lion, qui estoit loyal
homme, en
ceste chose et ordonnance
regarda que ce n’estoit point
chose raisonnable et si n’osa
dire
du non. Et respondit: "
Monseigneur,
ce que vous demandéz et que
Gil
lebert met avant, je ne le puis
point faire tout seul. Et moult
dure chose sera a l’esmouvoir."
"Jehan," dist le
conte, qui
s’enclinoit
a son prouffit, "se vous vous
en vouléz loyaulment acquiter,
il le
sera." "
Monseigneur," respondit
Jehan Lion, "j’en feray tout mon
plain pouoir." Ainsi se departit
adonc leur parlement.
Gillebert
Mahieu, qui tiroit a mettre mal
Jehan Lion
du
conte de Flandres,
ne n’entendoit a autre chose, s’en
vint a
ses freres tous six et leur
dist: "Il est
joint mais que vous
me vueilliéz
aider en ceste besoigne,
pb 12 v