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que je l’eusse dit. Si en parlent
bien les aucuns en couvert quant
ilz sont avecques leurs amis."
Adonc me traist il en ung anglet
de la chappele du chastel a Ortays.
Et puis commença a faire son
compte et dist ainsi: SHF 3-46 sync "Il y a bien
environ vingt ans qu’il regnoit
en ce paÿs ung baron qui
s’appelloit de son nom Raymon,
seigneur de Corasse. Corasse, que
vous l’entendéz, est une ville
a sept lieues de ceste ville de Orcays.
Le seigneur de Corasse pour le temps que
je vous parle avoit ung plait
en Avignon devant le pappe
pour les dismes de l’eglise
de sa ville a l’ancontre d’um clerc
de Casteloigne, lequel clerc estoit
en clergie tresgrandement fondé
et clamoit avoir grant droit en
ces diesmes de Corasse, qui
bien valoient de revenue cent
florins par an, et le droit qu’il
y avoit, il monstra et prouva.
Car par sentence diffinitive pape
Urban Ve
en consistoire general
condempna le chevalier, et jugea pour
le clerc. De la derraine sentence
du pappe leva lettre et print
possession et chevaucha tant
par ses journees qu’il arriva en
Berne. Et monstra ses lettres
et se fist mettre par la vertu
des bulles du pappe en possession
de ce diemage. Le sire de Corasse
eut grant ymaginacion sur le
clerc et sur ses besoignes et vint
au devant et dist au clerc: "Maistre
Pierre," ou "Maistre Martin," ainsi
comme il avoit nom, "penséz vous
que pour voz lettres je doye

perdre mon heritage? Je ne vous sçay
pas tant hardi que vous en prenéz
ne que vous en levéz ja chose
qui soit mienne, car se vous le faictes,
vous y mettrés la vye. Mais
allés, empetrés ailleurs benefices,
car de mon heritage vous n’aurés
neant et une foiz pour toutes je
le vous defens." Le clerc se doubta
du chevalier car il estoit cruel et
ne osa perseverer, si se advisa qu’il
s’en retourneroit en Avignon, comme
il fist. Mais quant il deut partir
il vint en la presence du chevalier et seigneur
de Corasse et luy dist que: "Par
vostre force, et non de droit, vous me
ostéz et tolléz les droiz de mon
eglise dont en conscience vous
vous meffaites g tresgrandement.
Je ne suis pas si fort en ce paÿs
comme vous estes. Mais sachéz que
au plus tost que je pourray, je vous
envoyeray tel champion que vous
doubteréz plus que vous ne faictes
de moy." Le sire de Corasse, qui ne
fist compte de ses menaces luy
dist: "Va a Dieu! Va, faiz ce que tu
pourras! Je te doubte plus mort
que vif. Ja pour tes parolles je ne
perdray mon heritage." Ainsi se
partit le clerc du seigneur de Corasse
et s’en retourna je ne sçay quel
part en Cathelogne ou en Avignon
et ne mist pas en oubli ce qu’il
avoit dit au partir du seigneur de Corasse
car quant le chevalier y pensoit le
moins, environ trois moys aprés
en son chastel de Corasse, la ou
il dormoit en son lit deléz sa femme, pb 67 v