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pb 58 rLVIII

le moins, environ trois mois aprés
vindrent en son hostel de Corasse,
la ou il se dormoit en son lit deléz
sa femme, messagiers invisibles
qui commencerent a tresbuchier
et a tempester tout ce qu’ilz trouve
rent parmy ce chasteau, de tele
maniere qu’il sembloit qu’ilz deus
sent tout abatre, et frapoient les
coups si grans a l’uis de sa cham
bre que la dame, qui gisoit, estoit
toute effroyee. ¶ Le chevalier
oyoit bien tout cela, mais il ne
vouloit sonner mot, car il ne
vouloit pas monstrer courage
d’omme esbahy, et aussi il estoit
hardy asses pour atendre toutes
aventures. Ces tempestemens
et effroys fais en pluseurs lieux
parmy le chasteau dura une lon
gue espace, et puis se cessa. Quant
ce vint a l’endemain, toutes les
mesgnies de l’ostel assemblerent
et vindrent au seigneur a l’eure
qu’il fu descouchié et lui deman
derent: "Monseigneur, n’avés vous
point oÿ ce que nous avons oÿ
en ceste nuit?" Le sire de Corasse
se faignit et dist: "Non, quele cho
se avés vous oÿ?" Adonc recorde
rent ilz et dirent a luit comment
on avoit tempesté aval son
chasteau et retourné et cassé
toute la vaisselle de cuisine. ¶ Il
commença a rire et dist qu’ilz
l’avoient soingé et que n’avoit
esté que vent. "En nom Dieu,"
dist la dame, "Je l’ay bien oÿ!"
Quant ce vint l’aultre nuit

aprés ensuivant, encores revindrent
ces messagiers mener plus grant
noise que devant et fraper les coups
moult grans a l’uis et aux fenestres
de la chambre du chevalier. Le
chevalier sallit sus enmy son lit
et ne se pout ne ne ne voult abstenir
qu’il ne demandast: "Qui est ce la
qui ainsi hurte a ma chambre a
ceste heure?" Tantost lui fut res
pondu: "Ce suis je!" Le chevalier dist:
"Qui t’envoye cy?" "Il m’y envoye le
clerc de Casteloigne a qui fais tu
grant tort. Car tu lui tolz les drois
de son heritage, si ne te lairay en
paix jusques atant que tu lui au
ras fait bon compte et qu’il soit
content." ¶ Dist le chevalier:
"Comment t’appell’on qui es si bon
messagier?" "On m’appelle Horton."
"Horton," dist le chevalier, "le service
d’un clerc ne vault riens. Il te fera
trop de paine se tu le veuls croyre.
Je te prie, laisse le en paix et me sers.
Je t’en sçauray bon gré." Horton fut
tantost conseillé de respondre, car
il s’amoura du chevalier et dist:
"Le voulés vous?" "Oÿl," dist le sire chevalier, "mais
que tu ne faces mal a personne de
ceans. Je m’en attendray bien a toy;
nous serons bien d’accort." "Nennil",
dist Herton, "je n’ay nulle puissance
de faire aultre mal que de toy res
veillier et destorbier, ou aultrui,
quant on deveroit le mieux dor
mir." "Fay ce que je te di," dist le chevalier,
"nous serons bien d’accort, et si lais
se ce meschant desesperé clerc. Il n’y
a rien de bien en lui fors que paine pb 58 v