Online Froissart
Facsimile mode    Settings    Browse  |  Collate      
pb 239 v

fondacion de ma matiere. Anciennement
avoit eu en le ville de Gand une guerre
mortelle de deux riches hommes mayeurs
et de leurs lignages qui s’appelloient l’un
sire Jehan Pierre et l’autre sire Jehan
Barde
: par celle guerre d’amis estoient
morts de eulx XVIII. Gisebrest Mahieu
et ses freres estoient du lignage de l’un
et Jehan Lyon de l’autre. ¶ Ces haynes
couvertes estoient ainsi de longtemps nou
riez entre ces deux parties, quoyqu’ilz
parlassent, beussent et mengassent a la
foys ensamble et trop plus grant compte
en faisoit le lignage de Gisebrest que
Jehan Lyon ne faisoit. Gisebrest, qui sub
tilloit a destruire Jehan Lyon sans cop fe
rir, advisa ung subtil tour, et sejournoit
une foys le conte de Flandres a Gand.
Il s’en vint a l’un des plus prochains cham
bellans du conte et s’acointa de lui, et
lui dist: "Se monseigneur de Flandres
vouloit, il aroit tous les ans ung grant
proufit sur les navieurs dont il n’a
maintenant riens. Et ce proufit les
estrangiers navieurs paieroient, voire
mais que Jehan Lyon, qui doit estre le
maistre des maieurs, s’en voulsist loy
aument acquiter." Ce chambellan dist
qu’il monstreroit ce au conte, ainsi qu’il
fist. Le conte, ainsi que plusieurs sei
gneurs par nature sont enclins a leur
proufit. Et ne regardent mie loyaument
a la fin ou les choses puent venir fors
a avoir la mise et la chevance et ce
les deçoipt, respondi a son chambellan:
"Faictes moy Gisebrest Mahieu venir
et nous orrons quele chose il veult
dire." Cil le fist venir. Gisebrest parla
au conte et lui remonstra plusieurs
raisons raisonnables, ce sambloit il
au conte, pourquoy le conte respondi:

"C’est bon que ainsi soit." Si fut appellé
en la champbre en la presence de Gise
brest Jehan Lyon qui riens ne sçavoit
de ceste matiere. Quant le conte lui
entama et dist: "Jehan, se vous vouléz, nous
arons grant proufit en ceste chose."
Jehan, qui estoit loyal, en ceste ordon
nance regarda que ce n’estoit pas une
chose raisonnable et si n’osoit dire du
contraire et respondit ainsi: "Monseigneur,
ce que vous demandéz et que Gisebrest
met avant, je ne le puis pas faire
tout seul car dur sera a l’esvoiturier."
"Jehan," respondi le conte, "se vous vous
en vouléz loyaument aquiter, il sera
fait." "Monseigneur," respondi Jehan, "je en
feray mon plain pouoir." Ainsi se departi
leur parlement. Gisebrest Mahieu,
qui tiroit a mettre mal Jehan Lyon du
conte de Flandres, ne n’entendoit a
autre chose, s’en vint a ses freres tous
six et leur dist: "Il est heure, mais que
vous me vueilliéz aidier en ceste besoi
gne ainsi que freres doivent faire
l’un l’autre. Car c’est pour vous que je
me combaz. Je desconfiray Jehan Lyon
sans cop ferir et le mettray si mal
du conte qu’onques n’en fut si bien
que il en sera mal. Quoyque je die
ne monstre en ce parlement, quant
il vous requerra de ce, si le debatéz
et je me faindray et diray et main
tendray a monseigneur que se Jehan
Lyon
vouloit soy loyaument en acquitter,
ceste ordonnance se feroit. Je congnoys
bien monseigneur de tant que ançoys
qu’il n’en viengne a son entente, Jehan
Lyon
perdra toute sa grace et lui ostera
son office et me sera donnéz. Et quant
je l’aray, vous l’acorderéz. Nous sommes
fors et puissans en ceste ville entre pb 240 r