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de tant dure maladie qu’il me couvient
mourir. Et puisqu’il est ainsi que le
corps de moy n’y puet aler ne achever
ce que le cuer a tant desiré, je y vueil
envoier le cuer en lieu du corps pour
mon veu achever. Et pour ce que je ne
sçay en tout mon royaume nul chevalier
plus preux de vostre corps ne mieux
taillié pour mon veu acomplir en
lieu de moy, je vous pry treschier et
tresespecial amy
, tant comme je puis,
que vous ce voiage vueilliés entre
prendre pour l’amour de moy et
mon ame acquitter envers Nostre Seigneur car
je tieng tant de vostre noblesse et de
vostre loyauté que se vous l’entre
prenéz, vous n’en faudréz nullement
et si en mourray plus aise. Mais que
ce soit par telle maniere comme je
vous diray. Je vueil sitost que je
seray trespassé que vous prengnéz
le cuer de mon corps et le faites bien
enbaumer et prenéz tant de mon
tresor qu’il vous semblera que asséz
en ayés pour parfurnir tout le voi
age pour vous et pour tous ceulx
que vous vouldréz mener avec vous,
et emportéz mon cuer avec vous
pour presenter au Saint Sepulcre
la ou Nostre Seigneur fu enseveli, puisque
le corps n’y puet aler, et le faites
si grandement et vous pourveéz si
souffisaument de telle compaignie et de
toutes autres choses qu’a vostre
estat appartient, et que par tout
ou vous venréz, l’en sache que vous
emportéz oultremer le cuer du roy
Robert d’Escoce
et a son commandement,
puisque ainsi est que le corps n’y
puet aler." Tous ceulx qui la estoient,
commencierent a plourer. Et quant
le dit messire Guillaume peut parler,
il dist : "Gentil et noble sire, CM merciz
de la grant honneur que vous me
faites quant si noble et si grant chose

et tel tresor me chargiés, et je feray
voulentiers et de cler cuer vostre com
mandement a mon loyal pouoir, jamaiz
n’en doubtéz, combien que je n’en soie
pas digne ne souffisant pour telle
chose achever." Adont dist le roy: "Haa,
gentil chevalier, grans merciz. Mais
que vous le me creanciés." Le chevalier
dist: "Certes, sire, je le feray voulentiers."
Lors lui creança comme loyal chevalier.
Adont dist le roy : "Or soit Dieux gracié.
Car je mourray plus a paix d’ores en
avant puisque je sçay que le plus
preux et le plus souffisant de mon
royaume
achevera pour moy ce que
je ne peus onques achever." Asséz
tost aprés trespassa de ce siecle le
preux Robert de Bruix, roy d’Escoce.
Et fu ensevely si honnorablement. Et
fu le cuer osté et embausmé. Si gist
le dessus dit roy en l’abbaie de Dom
fremelin
tres reveraument. Et tres
passa de ce siecle l’an de Grace mil
CCC XXVII, le VIIe jour de novembre.
Et asséz tost aprés trespassa aussi
le vaillant conte de Moret, qui estoit
le plus gentil et le plus puissant
prince du royaume d’Escoce. Et se
armoit d’argent a trois oreilliers
d’or.
SHF 1-41 sync Quant le printemps vint et la
bonne saison, messire Guillaume
de Douglas
se pourvey ainsi qu’il lui
appartenoit, si monta en mer au
port de Morrois en Escoce et s’en vint
en Flandres droit a l’Escluse pour oir
nouvelles et pour savoir se nul par
deça la mer s’appareilloit pour aler
pardevers la Sainte Terre de Jherusalem,
afin qu’il peust avoir meilleur com
paignie. Si sejourna bien a l’Escluse
par l’espace de XII jours ainçois qu’il
s’en partist. Mais onques ne voult
la endroit mettre pié a terre. Ains de
mouroit tout ce terme sur sa navie pb 23 v